Le rôle décisif de la conscience dans le changement social

L'origine de la conscience et le changement social

Le Marxiste-Léniniste publie dans ce supplément un important discours prononcé par Hardial Bains à la Première Conférence interdisciplinaire sur le thème de l'origine de la conscience et le changement social qui a eu lieu à l'Université de Windsor du 9 au 11 février 1996.

La conférence était coparrainée par le Groupe d'étude marxiste-léniniste de l'Université de Windsor, l'Alliance des étudiants de l'Université de Windsor, l'Association des étudiants diplômés, l'Organisation des étudiants universitaires à temps partiel et la section locale 195 des Travailleurs canadiens de l'automobile. Elle a réuni des gens de tous les âges et représentant un large échantillon de la société : étudiants de niveau collégial et universitaire, professeurs, travailleurs de l'industrie et autres travailleurs et professionnels.

Hardial Bains a donné un traitement théorique du problème de l'origine de la conscience et du changement social, en particulier de la complexité entre la dépendance de la conscience à l'être humain et en même temps son indépendance nécessaire. La thèse sur l'origine de la conscience aborde le dilemme de la détermination du contenu de la conscience. En affirmant clairement qu'il existe une conscience indépendante de nous, Hardial Bains apporte une contribution importante à la compréhension du rapport entre la conscience et l'être.

Dans une lettre au Groupe d'étude marxiste-léniniste (MLSG) de l'Université de Windsor le 28 septembre de l'année précédente, Hardial Bains écrivait : « À mon avis, la question la plus importante qui ressorte de cette discussion [du MLSG] est le rapport entre la conscience et l'être humain, ou le rapport entre l'aspect objectif et l'aspect subjectif, ou comment la réalité objective existe indépendamment de la volonté de quiconque et cela est-il vérifiable ? La réponse qu'on donne à cette question sera la base à partir de laquelle résoudre tous les autres problèmes de la théorie et de l'idéologie, c'est-à-dire de l'action humaine, de la compréhension et de la conscience. En l'absence d'un énoncé clair sur le sujet, rien d'autre ne peut être affirmé. »[1]

Nous vivons aujourd'hui un moment de redéfinition où les anciennes formes qui constituaient les institutions démocratiques libérales ont fait leur temps et où de nouvelles formes restent à créer. Hardial Bains a expliqué que ce moment de redéfinition ne nous arrive pas parce que quelqu'un l'a proclamé, il est imposé par les développements objectifs. C'est de ce moment décisif que la conscience va émerger et toutes les formes de fondamentalisme qui revendiquent telle ou telle vérité absolue, qu'importe le nom qu'on leur donne, lui feront obstacle. Dans une situation où les conditions objectives exigent un changement, mais où les conditions subjectives sont à la traîne, la tâche qui nous incombe est de regarder le présent et de faire une synthèse pour guider l'action. Cela est crucial dans un moment de redéfinition, a-t-il déclaré.

Qu'est-ce que la conscience ?

« Il faut une conscience qui émerge de la vie réelle présente, libre de toutes notions préconçues et synonyme de changement social. » - Hardial Bains

La question la plus importante à laquelle nous sommes confrontés avant de pouvoir parler du rôle décisif de la conscience est : qu'est-ce que la conscience ? Ou, y a-t-il une chose telle que la conscience ? Nous avons entendu diverses choses comme « la conscience humaine » et « la conscience animale ». Nous savons aussi qu'en anglais les mots « consciousness » et « conscience » ont un développement parallèle très proche. Alors, qu'est-ce qu'on appelle vraiment conscience ? Si nous disons que la conscience est apparue en même temps que la société, cela ne définit toujours pas ce qu'est la conscience. Faut-il proposer qu'avant la création de la société, les êtres humains n'avaient pas de conscience ? Je présupposerai diverses choses, mais surtout des choses qui peuvent nous aider à sortir de la difficulté de définir ce qu'est la conscience.

Si au Canada on se posait la question « Est-ce qu'il y avait une conscience quand il n'y avait aucun être humain sur la terre ? » ou « Quand il n'y avait pas de monde biologique, y avait-il une conscience ? », je suis tout à fait sûr que la réponse serait invariablement négative. La conscience dans ce monde qui est dégradée et contrefaite est généralement liée à un troisième facteur, un médiateur. Ce médiateur se situe entre une chose et une autre, dans ce cas entre la nature et la société et les êtres humains, ou une création de l'être humain. En d'autres termes, la conscience n'existerait pas indépendamment de ce médiateur ou de qui que ce soit d'autre. Mais si la conscience n'existe pas indépendamment de nous, comment peut-on l'appeler conscience ?

Les êtres humains ou homo sapiens existent depuis plus de 40 000 ans. Imaginez ce que cela signifierait d'avoir une conscience qui n'est rattachée qu'au cerveau d'un être humain en particulier. Il lui faudrait renaître et mourir avec la naissance et la mort de chaque personne. Une nouvelle conscience ou une conscience qui appartient à ce cerveau en particulier doit naître à chaque fois. Quelle sera cette conscience ?

Nous savons par l'étude de divers éléments de la croissance d'un enfant, de la naissance à l'âge de trois ou quatre ans environ, qu'il traverse toute une période d'évolution avant de pouvoir assumer les qualités de la société dans laquelle il naît, pour pouvoir manipuler diverses choses et manoeuvrer dans diverses situations. Et l'une des qualités que l'enfant acquiert est la faculté d'abstraction. Des tests sont effectués pour voir si un enfant se développe normalement. L'enfant traverse toute une évolution, littéralement d'un organisme unicellulaire jusqu'à sa naissance et en passant par plusieurs étapes entre les deux. Une fois né, il continue de traverser des étapes de cette évolution. Peut-on dire que le père et la mère savent précisément comment éduquer cet enfant pour qu'il assimile les 30 000 à 40 000 ans d'histoire qui le précèdent et qui lui ont donné la faculté d'abstraire ? Non, évidemment.

Mais oublions cet aspect et permettez-moi de vous présenter cette fois ce que je pense être la réponse. Nous pouvons surmonter la difficulté de définir la conscience en supposant qu'il existe une conscience en soi. Dans notre approche de l'étude de toute question, nous commençons par l'étude de la chose en soi. Et nous savons que toute matière est en mouvement. La matière n'existe que sous différentes formes. Il n'y a pas de matière en tant qu'abstraction. Si quelqu'un vient vous dire : « J'ai rencontré la matière », ce serait pas mal absurde. Vous pourriez lui répondre : « Bien, alors c'est quoi cette matière ? » La personne vous montrerait quelque chose et vous diriez : « Ce n'est pas la matière, c'est une forme de matière. » Or, si la matière n'existe que sous ses différentes formes et si son étude nécessite l'étude de ses différentes formes, elle est alors plus que ce que l'oeil peut percevoir. Mais laissons cette question pour le moment.

Cette conscience, c'est-à-dire la conscience en soi, est par définition indépendante de nous. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec moi mais poursuivons le raisonnement ensemble. La conscience existe-t-elle en soi ? Par exemple, il pourrait s'ensuivre que quand les êtres humains sont apparus, ils n'avaient pas encore transcendé la conscience animale. Ils ont dû s'humaniser. Il est assez bien connu, avec tout ce que nous savons aujourd'hui, que les êtres humains ne sont pas apparus spontanément sur la scène avec tous leurs attributs. La bourgeoisie laisse entendre même aujourd'hui que l'élément essentiel de l'être humain est le gorille ou le singe, que cela n'a pas changé. Mais revenons au sujet. Si les êtres humains ont dû s'humaniser, le point de départ de cette humanisation devait être l'humanisation de l'environnement, l'acte de survie permettant de rendre l'environnement naturel vivable pour l'être humain. Si nous devions présupposer la conscience en elle-même, la conscience avec sa propre logique, avec ses propres lois de développement, avec une indépendance complète par rapport à nous, alors nous verrions à travers ses yeux que l'humanisation de l'environnement présuppose l'existence du trait humain, que le trait humain est ce qui humanise. Or, ce n'est pas le cas. Le fait même que chaque être humain soit un produit de la nature et qu'il a agi sur la nature pour la changer est considéré comme un acte humain. De l'humanisation de la nature, nous en sommes arrivés au stade où l'humanisation de la société est à l'ordre du jour. L'humanisation de la nature commence lorsque les êtres humains, qui étaient un produit de la nature, se sont engagés à combattre les forces de la nature pour les mettre à leur service. L'humanisation de la société commence lorsque ces êtres humains naissent en société. Ils ne sont plus nés dans la nature. Un changement qualitatif doit avoir lieu d'un état à l'autre ou d'un stade à l'autre. Dans la première période, c'est-à-dire la période d'humanisation de la nature, il y a la présupposition que l'acte d'humanisation de la nature a dû rendre les êtres humains conscients.

La conscience en soi

Dans la deuxième période, la présupposition est que l'acte d'humanisation de la société apportera aux êtres humains une conscience en soi. Laissons de côté toutes les protestations, toutes les objections des différentes écoles de pensée qui ont vu le jour dans le passé, y compris les postmodernistes, ceux qui affirment, d'une manière ou d'une autre, que chaque époque de la société et de la nature n'a pas sa conscience de soi et que la conscience se limite à ceux qui la perçoivent. Je vais tout de même insister sur le fait que l'étude du sujet « origine de la conscience » doit procéder en présupposant l'existence de la conscience en soi. Face à la question : « Y avait-il une conscience avant que les êtres humains n'arrivent sur la terre ou même avant que le monde biologique n'apparaisse ? », on trouve souvent un regard béat. On fronce les sourcils si quelqu'un répond par l'affirmative. Oui, il y avait une conscience avant que les êtres humains ne fassent leur apparition sur cette terre et même avant l'apparition du monde biologique. C'est la conscience en soi, la conscience qui ne dépend que d'une époque de société et de nature.

Quelle était cette conscience n'est pas la question. On pourrait facilement y répondre. Tout, tous les phénomènes de la nature et de la société, et la nature et la société elles-mêmes ont leurs propres lois de développement. Ce sont ces lois qui leur communiquent leur conscience, leur contenu. Mais où ce contenu les amène-t-il ? Où réside-t-il ? Il réside dans la chose même, qui est à son tour la preuve de l'existence de la conscience en soi. La question de l'existence de la conscience en soi est donc résolue dans son intégralité. La prétention post-postmoderniste est que, sans présupposer l'existence de cette conscience, il n'est pas possible de prouver l'existence ou la non-existence d'aucune autre forme de conscience. Mais, de par sa définition même, cette conscience est indépendante du monde humain ou biologique, elle ne dépend que de la chose elle-même.

Quelle est cette présupposition, cette conscience en soi ? En présupposant l'existence de cette conscience, il est présupposé que chaque époque de la société et de la nature a sa propre conscience. Si chaque époque a sa propre conscience, on peut en déduire qu'il y avait une conscience avant que ces époques ne commencent également, c'est-à-dire même avant le monde prébiologique. Pour être précis, il faut comprendre que la conscience en soi, par définition, est cette conscience qui existe indépendamment de nous-mêmes ou de toute autre chose que la chose elle-même. L'étude de cette conscience ne peut avoir comme point de départ que la chose elle-même. C'est ainsi qu'est entreprise l'étude de toute chose : il faut commencer par la chose en soi. La chose qui est la nature, la société dans son changement, développement et mouvement.

Si vous me permettez de m'éloigner du sujet un peu, je veux vous montrer que la conscience d'une personne qui a vécu il y a 600 ans avant notre ère et la conscience de la personne qui vit en 1996, c'est-à-dire à notre époque, une différence d'environ 2 500 ans, sont entièrement différentes. Les deux sont des êtres humains et appartiennent à la société, mais elles sont de deux époques différentes. Si, au cours de ces 2500 années, la conscience s'est développée, qu'est-ce qui fait penser que cela n'ira pas plus loin et ne prouvera ce que je dis, qu'il y a une conscience en soi ? Il n'y a pas d'argument logique pour me contredire. En même temps, si quelqu'un affirme que la conscience doit exister par définition en fonction de telle ou telle chose, il ne s'agit pas de conscience par définition. Nous savons que la société a changé, s'est développée et a évolué et, avec elle, la conscience humaine a évolué, s'est développée et s'est mue. Cette conscience apparaît donc par définition sous différentes formes. Elle apparaît dans la forme du produit de la société préclassique ou dans la forme de la conscience des différentes époques de la société de classes. Si l'on suppose que la conscience est indépendante de nous et si, ne serait-ce qu'aux fins de la discussion, les participants à cette discussion l'acceptaient généralement, la question qui se pose est alors est de savoir quelles sont ces formes de conscience. S'agit-il de choses qui ne sont pas la conscience à un stade quelconque du changement, du développement et du mouvement ? Quelles sont les formes de conscience, quelles sont ces choses, quel est leur contenu ? Le contenu de ces formes de conscience ne serait-il que les lois de développement sont des choses qu'elles reflètent en elles-mêmes ? En présupposant l'existence de la conscience en soi, ce que sera cette conscience post-postmoderniste deviendra également clair. Je pose la question de rechercher le contenu de la conscience post-postmoderniste, de la conscience, du facteur humain, car ce n'est qu'en retrouvant son contenu que nous recommençons à approfondir et à étendre la présupposition que nous avions au départ, la présupposition de la conscience en soi. C'est à partir de là, de l'établissement du contenu de la conscience post-postmoderniste, que la discussion et le débat peuvent réellement commencer.

Ayant accepté cette école, ne serait-ce que pour les fins de la discussion, le défi pourrait légitimement se présenter comme suit : si c'est nous qui devons établir le contenu, comment ce contenu peut-il être présumé, comment peut-on présupposer que la conscience existe indépendamment de nous ? Il semblerait que je me contredise. Ne vous inquiétez pas pour le moment. Supposez avec moi que la conscience et la conscience en soi soient deux choses qualitativement différentes. La conscience qui dépend des développements autour de nous à un moment donné n'est pas la même chose que la conscience en soi. Si cela est accepté, une autre question pourrait être soulevée. On pourrait dire : bon, vous avez déjà présupposé la conscience en soi, mais vous déclarez maintenant que la conscience et la conscience en soi sont deux choses différentes. Supposons alors que nous voulions établir le contenu de la conscience et non de la conscience en soi. Comment faire ? Je répondrais avec assurance : essayez autant que vous le voulez, vous n'y parviendrez pas. Vous ne pouvez pas établir le contenu de la conscience en le séparant de la conscience en soi. Ce qu'il faut présupposer, c'est que la conscience en soi n'est pas la même chose que la conscience. Les lois du changement, du développement et du mouvement d'une chose ne sont pas des choses en soi. Si le contenu de la conscience en soi, ce sont les lois présupposées, la difficulté à établir le contenu de la conscience est insurmontable. La question sera soulevée immédiatement : mais la conscience est la seule chose dont l'existence présuppose une dépendance de nous. Pourquoi ne pouvons-nous pas établir le contenu de quelque chose qui dépend de nous ? La réponse est simple : si nous ne savons rien de notre propre conscience, l'origine de cette conscience, son changement, son développement et son mouvement, comment pouvons-nous établir le contenu de la conscience qui dépend de nous ? On peut expliquer que, précisément parce que nous ne savons rien d'elle, nous pouvons lui fournir du contenu. On peut dire cependant que nous ne pouvons jamais établir ce que ce contenu est dans sa forme finale. C'est le seul absolu dans cette affaire. C'est la source des difficultés insurmontables. Imaginez que c'est comme une lumière venant à la Terre et réfléchie par la Terre. La conscience que nous avons est comme cette réflexion. Nous réfléchissons ce que nous recevons de la même manière que la lumière. Mais toutes les écoles disent que la source de cette lumière est la personne qui la reflète. La dispute n'est pas que la lumière soit reflétée, que la conscience est là. Le différend porte sur la source de cette lumière, sur la source de cette conscience ?

Nous avons commencé avec la proposition que la conscience en soi existe. Appelons cela la supposition numéro un. La conscience en soi, par définition, est indépendante de nous. Il y a aussi une conscience qui ne doit pas être présupposée. Tous, spontanément, nous émettons et réfléchissons cette conscience et prétendons qu'elle nous appartient sans jamais penser qu'elle dépend de nous. Sommes-nous la source de cette conscience ou est-elle simplement reflétée par nous ? Juste parce que nous réfléchissons la lumière, pouvons-nous affirmer que nous sommes la source de lumière ? Ou juste parce que nous avons cinq sens qui sont le produit de l'évolution de la société et de la nature, pouvons-nous affirmer que nous sommes la source des cinq sens ? Pouvons-nous de là conclure que, comme différentes personnes ont des origines différentes, telles qu'elles s'expriment dans la langue parlée, dans l'origine nationale, l'appartenance ethnique, la couleur de la peau ou le sexe, elles refléteront ou montreront leur conscience différemment. Oui, cela pourrait être dit si l'origine nationale, l'origine ethnique, la couleur de la peau ou le sexe étaient réellement la source de cette conscience. Mais comment se peut-il que quelque chose que nous possédons déjà soit aussi la source de quelque chose que nous réfléchissons ? En explorant l'indépendance et la dépendance de la conscience par rapport à nous-mêmes, tôt ou tard quelqu'un demandera comment se définit ce « nous ». Est-ce que le « nous » fait référence à vous et à moi ou à ceux qui sont venus il y a 40 000 ans, il y a 500 ans, ou 50 ou 5 ans ou tout juste hier, ou vous qui êtes venus aujourd'hui ? Comment définir le « nous » ? Nous passons de l'exploration du contenu de la conscience à l'établissement de qui est « nous » ? Comment pouvons-nous vraiment débattre lorsque nous passons d'une chose à l'autre ? N'y a-t-il pas moyen de revenir en arrière et de ne pas faire ce saut pour que nous puissions rester sur le sujet ?

La question multiplie en fait nos difficultés parce que nous nous éloignons de la discussion sur la conscience et entrons dans un tout autre sujet, le sujet de savoir si nous pouvons faire quelque chose pour annuler ce saut obligatoire dans la discussion. Nous pouvons examiner ce que nous pouvons faire pour assurer notre propre indépendance et ainsi de suite. Allons-y. Essayons de surmonter cette difficulté.

En 1967, un programme d'études a été organisé au Collège Trinity de Dublin, en Irlande, intitulé « La nécessité de changement ». J'ai eu l'honneur d'être l'orateur principal sur ce sujet précis de ce que nous pouvons faire pour surmonter cette difficulté. Je pensais alors que cette difficulté pouvait être surmontée. Et pour surmonter cette difficulté, j'ai fait cette proposition que nous décidions ensemble que la conscience en soi existe, que nous fassions cette présupposition ensemble. Nous devrions le faire sans aucune crainte et ensuite faire la deuxième supposition, la supposition numéro deux, à savoir que c'est cette conscience qui se métamorphose et passe d'une forme à une autre, le changement de contenu s'effectuant suivant les époques de la société et de la nature. Pour l'illustrer, nous avons fait la présupposition numéro trois, l'existence du « je » entre guillemets. Ce « je », cette proposition du « je » entre guillemets, nous amène à la définition suivante : le « je » est un rapport ou une relation ; il est quelque chose qui voit les phénomènes ; qui non seulement voit les phénomènes mais les reconnaît ; qui non seulement les reconnaît mais les analyse ; qui non seulement les analyse mais les reflète à son tour. À mon avis, ces propositions sont une solution à notre problème. Si nous acceptons de faire ces trois présupposés, la solution consiste alors à comprendre ce qu'est le « je » qui voit, reconnaît, analyse et réfléchit. Et ce « je » est par définition un rapport ou une relation. Ce n'est ni la chose en soi ni les lois du développement, c'est-à-dire la conscience en soi. C'est le reflet de la relation entre une chose elle-même et tout le reste.

Le « je » en tant que rapport ou relation

« La compréhension requiert un acte de participation consciente de l'individu, l'acte de découvrir. » - Nécessité de changement

Allons plus loin avec cette présupposition. Le « je » en tant que rapport ou relation n'est ni la conscience en soi, ni la conscience. Il est conditionné par des périodes et des circonstances précises. Parce que par définition une relation dépend du temps et des circonstances. Si une relation devait être la même dans toutes les conditions et circonstances, cela signifierait que la conscience en soi ne se métamorphose pas. Elle n'assume aucune forme. Cela voudrait dire que la conscience en soi n'est qu'une abstraction et que la chose en elle-même ne change pas, ne se développe pas et ne se meut pas. Bref, c'est aussi une abstraction, c'est un univers stationnaire. En d'autres termes, nous ne parlons de rien. Pour parler de quelque chose, nous devons présupposer l'existence du « je », cette relation qui donne à la forme vivante cette qualité concrète et définie, vérifiable par la vie elle-même. Je dois encore supposer qu'il y a quelque chose qui est préconditionné. Ce quelque chose est la chose elle-même, c'est la nature et la société, la condition de la nature et de la société à un moment et dans un espace donnés. Prenons, par exemple, le monde actuel, que nous connaissons tous plus ou moins bien, car non seulement sommes-nous son produit mais nous y vivons. En utilisant la présupposition du « je », que trouvons-nous ?

« Je » en tant que relation pourrait être entre l'enseignant et l'enseigné, entre l'ouvrier et le capitaliste, entre les atomes et les molécules ou entre les parties subatomiques et ainsi de suite. En d'autres termes, nous pouvons voir une relation qui existe indépendamment de nous et pourtant la présupposition du « je » donne l'impression de quelque chose qui est dépendant de nous. On peut parler d'un miracle, si vous voulez. Lors du programme d'étude « La nécessité de changement », j'ai expliqué que le « je » qui reconnaît, analyse, reflète et reçoit la réflexion n'est pas le « je » égocentrique, le « je suis », point final. Le "je" égocentrique reconnaît mais avec un préjugé. C'est le préjugé de ce « je ». Le « je » ainsi défini est seul, c'est le « je » qui reconnaît mais oublie que moi aussi je peux reconnaître et ainsi de suite. Et l'on conclura que ce « je » n'est rien d'autre que la définition de quelqu'un, une définition de quelque chose. Au-delà, ce n'est rien.

C'est ce que toutes les écoles de pensée veulent que nous acceptions, une définition qui nous limite au maximum, quelque chose qui n'est pas vérifiable au sens large de la science. Le « je » dont nous parlons, par contre, est l'être incarné, une relation existant en soi. Une fois que nous établissons que ce « je » dépend de la chose elle-même, nous pouvons expliquer que la chose elle-même est soumise aux lois du changement, du développement et du mouvement, telles que reflétées par « je », par cette relation.

Appliquons cette restriction du « je » qui est dépendant de la chose elle-même plus largement. Premièrement, lorsque nous parlons de conscience en soi, nous devons poser la question : existe-t-elle ? Par définition, la conscience en soi est indépendante de nous. Elle nous dépasse. Nous en discutons et posons la question de son existence. La réponse à cette question est assez évidente. Oui, elle existe dans la mesure où il est reconnu qu'il existe des conditions à une époque où il n'existait aucun monde biologique dans l'univers. Dès que le monde biologique naît, et plus encore quand les êtres humains, vous et moi, en somme la société dans laquelle nous naissons, entrent en scène, cette conscience en soi se métamorphose.

Cela signifie-t-il que la conscience en soi disparaît quand le monde biologique et la société sont apparus ? Non, elle commence à se métamorphoser en conscience et apparaît comme étant dépendante de nous. C'est pourquoi Friedrich Engels dit que toute conscience est « fausse conscience ». Cette dépendance est illusoire, elle est fausse. C'est pourquoi la réalité doit être étudiée et constamment réexaminée et redécouverte. Toutes ces consciences ne sont que relatives. L'existence de la conscience présuppose l'existence du « je » entre guillemets, ce qui présuppose l'existence de la chose-même, ce qui présuppose l'existence de la société ou de la nature, quel que soit le sujet dont on veuille parler. Peut-on dire que cette conscience métamorphosée signifie qu'elle n'est plus une conscience en soi ? Non, ça ne veut pas dire ça. On doit dire que parce que la conscience est conscience en soi, elle est métamorphosée par les conditions, revêt telle et telle forme, dépendante du contenu imposé par ces conditions. Autrement dit, de son point de vue elle continue de transcender sa dépendance et continue d'apparaître comme conscience en soi.

Le problème de la définition de la personnalité moderne

« Notre fidélité est envers l'ensemble des rapports humains et ce que
révèlent ces rapports indispensables, surtout la nécessité du pouvoir politique. »
- Nécessité de changement

Une fois que l'on accepte que c'est cela la conscience, il ne reste plus qu'une très petite question : est-elle essentielle au changement social ? Cela dépendra bien sûr des individus. S'ils veulent un changement social, ils devront définir ce qu'est ce changement social. Nous revenons au problème de la définition de la personnalité moderne. Nous devrons commencer par la destruction, par l'analyse. Nous devrons ensuite définir précisément quelles sont les conditions sociales, quelles conditions sociales on veut changer. En d'autres termes, nous devons passer de développements spontanés à des développements planifiés conscients. En d'autres termes, nous devons en arriver à cette condition, à cette étape, à ce stade où nous devons déterminer s'il existe dans cette société une force sociale indépendante de nous, dans c'est dans l'intérêt de réaliser le changement social dont nous parlons. Si vous pouvez l'identifier, vous avec la réponse à la question.

Par exemple, nous, communistes, disons que la classe ouvrière est cette force sociale qui a intérêt à renverser toutes les conditions de l'exploitation capitaliste. Sur cette base, nous sommes allés plus loin et avons analysé que les conditions matérielles sont mûres pour le renversement du capitalisme. Les conditions subjectives doivent être préparées. C'est que la classe ouvrière existe comme force sociale, mais pas comme force révolutionnaire consciente et organisée. Cette force doit être créée. Cela n'est possible qu'avec, disons, une conscience pure, c'est-à-dire une conscience totalement dépourvue de préjugés, c'est-à-dire la conscience en soi. En d'autres termes, nous devons redécouvrir, nous devons repenser toute la réalité et ainsi de suite, comme l'a proposé Sandra Smith dans sa présentation intitulée « Un moment décisif ». Si nous nous contentons de dire que la conscience des années 1960 et la conscience telle qu'elle existe aujourd'hui suffit, que ce que Marx et Engels, Lénine et Staline et d'autres ont découvert suffit, nous commettrons une grave erreur. Dans la mesure où, si une organisation telle qu'un parti communiste ne réévaluait pas constamment sa position, si elle ne remettait pas en question toutes ses propositions fondamentales, cette organisation deviendrait théoriquement sénile. Et une fois que vous êtes théoriquement sénile, vous êtes pratiquement inexistant.

C'est la raison pour laquelle les partis communistes dynamiques mettent longtemps à parvenir à une étape où ils prennent le pouvoir : la validité théorique dissuade de toute aventure, de toute idée fausse, de toute illusion que des choses peuvent être organisées quand les conditions ne sont pas réunies.

Note

1. Le Marxiste-Léniniste, 30 septembre 1995

(Conférence interdisciplinaire, Université de Windsor, 9-11 février 1996. Archives du Centre de ressources Hardial Bains.)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 19 - 18 mai 2019

Lien de l'article:
Le rôle décisif de la conscience dans le changement social - Hardial Bains


    

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