Numéro 7 - 24 février 2018
Gain de cause dans la
contestation du processus
de mise en candidature
Le cautionnement de 1000 $ est
invalidé
 
Gain de cause dans la contestation du
processus de mise en candidature
• Le cautionnement de 1000
$ est invalidé
• Gouverner sans le
consentement des gouvernés - Entrevue
avec Anna Di Carlo, dirigeante nationale, Parti
marxiste-léniniste du Canada
Le programme
de réforme électorale du gouvernement Trudeau
• Les libéraux font de la
cybersécurité le nouvel objectif des réformes
• Élargissement des
pouvoirs de police pour criminaliser la
conscience et la parole - Pauline
Easton
• Les théories du complot
de l'élite dominante - Enver
Villamizar
Dispute entre
la Colombie-Britannique et l'Alberta au sujet de
l'oléoduc Trans Mountain
• Diviser le corps
politique pour servir les intérêts privés qui
rivalisent entre eux
150e
anniversaire de la naissance de W.E.B. Du Bois
• Le legs de W.E.B. Du
Bois – Paul Robeson
Supplément
• Désinformation sur les
cyberattaques et l'« arsenalisation » des médias
sociaux
Gain de cause dans la contestation
du processus de mise en candidature
Le cautionnement de 1000 $ est
invalidé
Les Canadiens n'auront plus à payer un
cautionnement de mise en candidature
de 1 000 $ lorsqu'ils se
présenteront comme candidats aux élections
fédérales. Cette exigence a été déclarée
inconstitutionnelle par la Cour du banc de la
Reine de l'Alberta en octobre 2017 dans le
cadre d'une contestation fondée sur la Charte
déposée par un individu après qu'il ait tenté sans
succès de s'inscrire comme candidat indépendant
dans la circonscription de Calgary-Heritage aux
élections fédérales de 2015. L'article 3
de la Charte canadienne des droits et libertés
stipule : « Tout citoyen canadien a le droit
de vote et est éligible aux élections législatives
fédérales ou provinciales. » La juge en chef
A.B. Inglis a décidé que l'exigence d'un
cautionnement contrevient à l'article 3 et a
déclaré que les dispositions connexes de la Loi
électorale du Canada « étaient sans
effet ».
Le procureur général du Canada (le gouvernement)
a soutenu devant la Cour que les exigences de
longue date en matière de cautionnement et de
signatures de mise en candidature servent à
décourager les candidats « frivoles ». Dans
son jugement, la juge Inglis a soutenu que le
cautionnement de 1 000 $ avait « le
potentiel d'empêcher un candidat sérieux et
impressionnant de se présenter à une
élection », en accord avec le plaignant, qui
s'est représenté lui-même devant les tribunaux. La
juge Inglis a conclu que « de nombreux candidats
non frivoles pourraient être empêchés de
participer en raison de moyens financiers limités,
et qu'un candidat frivole pourrait facilement être
en mesure de respecter l'exigence de
cautionnement ». Elle a déclaré : « Je
conclus que [le cautionnement] constitue une
restriction mesurable importante au droit de jouer
un rôle significatif dans le processus électoral
et, en tant que tel, viole l'article 3 de la
Charte. »
Pour étayer son argument, la juge Inglis a dit
que la collecte de 100 signatures de mise en
candidature (50 dans des circonscriptions moins
peuplées) est suffisante pour prouver le sérieux
d'un candidat. Le plaignant avait également
contesté l'exigence de la collecte de signatures
et l'exigence que la personne ayant servi de
témoin lors de la collecte soit présente lors de
la mise en candidature officielle. Il a fourni
le 1 000 $ lorsqu'il a tenté de
s'inscrire ; il a échoué parce qu'il n'a pas
été en mesure de présenter le témoin des
signatures, qui demeure à Edmonton, à Calgary pour
la mise en candidature. Le directeur du scrutin de
Calgary-Heritage a omis de l'aviser qu'il aurait
pu déposer les documents par télécopieur et que
ses formulaires auraient pu être notariés pour que
le témoin n'ait pas à se présenter. La juge Inglis
a confirmé l'exigence de signatures de mise en
candidature et les dispositions connexes.
Dans une lettre envoyée aux partis politiques
non représentés à la Chambre des communes,
Szuchewycz a exprimé son point de vue sur la
décision de la Cour :
« ... Ce test de
richesse, introduit pour la première fois dans la
Loi des élections fédérales du Dominion
en 1874, appartient désormais au passé. Les
candidats n'auront plus à prouver qu'ils disposent
de 1 000 $ pour exercer leur droit
de se présenter aux élections.
« Bien que des
restrictions administratives sérieuses demeurent
pour les petits partis et les candidats
indépendants, sans parler de la censure
systématique des médias, j'espère que cette
décision donnera à vos partis la possibilité de
soutenir un plus grand nombre de candidats partout
au Canada et de fournir la diversité de choix et
de visions dont notre pays a désespérément besoin.
« À une époque où la
démocratie semble reculer et où nous estimons que
nous n'avons pas notre mot à dire sur la direction
de ce pays, les petits partis et les gens
ordinaires doivent défendre leurs convictions et
offrir une nouvelle alternative aux carriéristes
bien réseautés, aux politiciens malhonnêtes et à
l'élite riche qui domine l'establishment
politique. Je pense que vous conviendrez que c'est
seulement grâce à la participation politique
accrue des Canadiens ordinaires que notre système
politique peut être rétabli. »
À la suite de la décision de la Cour de justice
de l'Alberta, Élections Canada a annoncé qu'il se
conformerait immédiatement et n'appliquerait plus
les articles invalidés de la loi électorale, à
moins que le gouvernement n'ait interjeté appel
avec succès. Les candidats aux élections
partielles fédérales du 11 décembre 2017
n'étaient pas tenus de payer le dépôt. Le 27
novembre 2017, la ministre des Institutions
démocratiques Karina Gould a annoncé que son
gouvernement ne ferait pas appel.
Recommandations d'Élections Canada sur
l'inscription des candidats
Dans le rapport du directeur général des
élections (DGE) à la Chambre des communes à la
suite des élections fédérales de 2015, le DGE
a proposé d'éliminer l'exigence de 100
signatures dans le processus de mise en
candidature.
Dans son rapport intitulé Un régime électoral
pour le 21e siècle, le DGE
déclare : « L'exigence, pour le candidat,
d'avoir à recueillir 100 signatures
représente au mieux un avantage minime. Les
signatures n'indiquent pas un soutien au candidat.
La seule exigence pour pouvoir signer l'acte de
candidature est d'habiter dans la circonscription
du candidat. En fait, les candidats peuvent
obtenir les signatures en se rendant dans un lieu
public comme un centre commercial ou
communautaire, et les signatures obtenues ne se
traduiront pas nécessairement par un vote. La
vérification des noms et adresses des 100
électeurs afin de confirmer qu'ils habitent dans
la circonscription est une tâche qui exige
beaucoup de temps aux directeurs du scrutin et
retarde la confirmation de la candidature. [...]
L'exigence selon laquelle l'acte doit être soumis
par un témoin suggère que le candidat accepte la
candidature avec réticence. De plus, l'obligation
d'obtenir des signatures d'électeurs nuit aux
personnes qui souhaitent exercer leur droit
constitutionnel de se porter candidat. »
Dans son examen des recommandations du directeur
général des élections, le Comité permanent de la
procédure et des affaires de la Chambre a refusé
d'abandonner l'exigence de la collecte de
signatures de mise en candidature. Après avoir
examiné la recommandation, il a déclaré à la
Chambre des communes : « Le Comité ...
demeure convaincu que l'exigence de signature sert
à dissuader le nombre de candidats
frivoles. »

Gouverner sans le consentement des gouvernés
- Entrevue avec Anna Di Carlo,
dirigeante nationale, Parti
marxiste-léniniste du Canada -

LML a demandé à Anna Di Carlo, dirigeante
nationale du Parti marxiste-léniniste du Canada
(PMLC), son opinion sur l'élimination du
cautionnement de mise en candidature
de 1000 $ .
***
Anna Di Carlo :
C'est une bonne chose. Le PMLC apprécie les
efforts de cette personne pour le faire invalider.
Ce que son expérience révèle et qui est le plus
inquiétant à mon avis, c'est que le directeur du
scrutin de sa circonscription ne l'a pas informé
des mesures qu'il aurait pu prendre pour valider
sa mise en candidature. Il est bien possible que
le directeur du scrutin ne les connaissait même
pas, mais le fait qu'il n'existe pas de recours
est particulièrement troublant. C'est un exemple
du genre de problèmes auxquels les Canadiens sont
confrontés lorsqu'ils essaient de devenir
candidats. Le processus ne ressemble absolument
pas à une affirmation du droit d'élire et d'être
élu. Au contraire, il est conçu pour s'assurer que
le corps politique est maintenu hors du pouvoir.
Les candidats du PMLC font face à toutes sortes
d'obstacles. En règle générale, le PMLC a des
candidats qui connaissent mieux la loi que les
directeurs du scrutin, ce qui leur permet d'avoir
gain de cause. Le PMLC est très bien informé et il
traite des problèmes qui surgissent d'une manière
qui n'oblige pas les candidats à embaucher leurs
propres avocats pour interpréter la loi électorale
pour eux. Une fois, un de nos candidats a dû aller
devant un juge pour obtenir un jugement sur une
question très mineure et le juge n'avait jamais lu
la loi électorale. Il a fallu que le candidat la
lui explique et l'informe de ce qu'il devait
faire.
LML : Quelles
sont les problèmes reliés à la mise en
candidature ?
ADC : Il y en a
beaucoup. Ils vont au coeur de l'objectif des lois
électorales qui est caché. En fait, participer de
façon consciente comme candidat à une élection est
une expérience enrichissante qui permet d'en
apprendre beaucoup sur le fonctionnement réel du
système électoral appelé démocratie
représentative. Loin de faire en sorte que les
citoyens puissent élire et être élus, il prive
l'électorat de ses droits et prive le corps
politique de pouvoir. Le PMLC encourage les
Canadiens à se présenter comme candidats dans le
cadre d'un mouvement pour s'investir du pouvoir.
LML : Pouvez-vous
nous en dire plus à ce sujet ?
ADC : La décision
de la Cour de l'Alberta d'invalider le
cautionnement de 1000 $ de mise en
candidature du candidat, les recommandations
d'Élections Canada d'abroger l'exigence, pour le
candidat, d'avoir à recueillir 100 signatures
et la recommandation des partis cartellisés de
maintenir l'exigence des signatures, tout cela
reflète l'approche à la pièce de la réforme
électorale qui ne traite pas de son défaut
fondamental : elle ne donne pas lieu à un
système qui place le pouvoir de décision entre les
mains des citoyens en tant que membres du corps
politique.

Dans un corps politique qui reconnaît les
citoyens comme la source du pouvoir,
l'appartenance à ce corps politique confère
l'égalité. Au Canada, cependant, le corps
politique n'est pas reconnu en pratique. Le
système fait une distinction intrinsèque entre les
dominants et les dominés, les gouvernants et les
gouvernés, le souverain et les sujets. En
apparence les représentants représentent le peuple
mais en réalité ils représentent le souverain. Il
n'y a pas d'égalité parce que vous faites partie
de l'un ou bien de l'autre. Trudeau ne cesse de
répéter qu'il fait partie de la classe privilégiée
qui n'a aucune idée de ce que c'est que de faire
partie de ceux qui n'ont pas accès aux privilèges.
Dans ce contexte-là, parler de citoyens en tant
que membres égaux du corps politique, c'est
tromper les crédules parce que le «
souverain » établit les règles, définit les
droits inscrits dans la Constitution et les
limites des droits imposées au nom d'un but
supérieur quelconque. Aujourd'hui, ce but
supérieur est le plus souvent « la sécurité
nationale ». La sécurité nationale devient
synonyme de ce qu'on appelle les valeurs
canadiennes, et des limites sont imposées pour
restreindre les activités et le discours de ceux
qui ne se conforment pas aux valeurs déterminées
pour eux. L'objectif des élections est d'amener
ces « citoyens » à consentir à ce que « le
souverain » agisse en leur nom. Ils cochent
leur bulletin de vote pour remettre leur
représentation à quelqu'un dont on leur a fait
croire qu'il les représente alors qu'en fait cette
personne est un représentant du « souverain »
qui représente l'État, lui-même un instrument de
la force.
Comme dans le reste du système dominé par les
partis, appelé démocratie représentative, le
processus de sélection des candidats est en fait
une négation des droits démocratiques fondamentaux
des citoyens de sélectionner les candidats qui se
présentent aux élections et de définir l'ordre du
jour de la discussion pendant une élection et le
programme qu'il veulent que le gouvernement qu'ils
élisent mette en oeuvre. Le processus électoral ne
permet même pas aux citoyens de porter un verdict
sérieux sur les réalisations du gouvernement
sortant.
La façon dont le gouvernement Trudeau agit
illustre très bien ce point. Le premier ministre
donne ce qu'on appelle des lettres de mandat à
tous les ministres qui établissent des ordres du
jour et des objectifs et qu'on dit provenir d'un
mandat donné par l'électorat. Ils ont très peu à
voir avec ce que les Canadiens veulent et de toute
façon ceux-ci n'ont aucun pouvoir de contrôle.
Puis le premier ministre prétend qu'il y a des
consultations et des assemblées publiques, bien
qu'elles soient au départ perçues comme étant
bidon. Puis le gouvernement charge le Conseil
privé de créer un site Web pour « suivre à la
trace » sa performance et rendre un
verdict ! C'est lamentable. Cependant, les
médias monopolisés et ceux qui se disent des
experts et des spécialistes en discutent comme si
c'était démocratique. L'empereur est capable de se
pavaner nu en disant qu'il porte un costume
magnifique non seulement parce qu'il a une suite
de courtisans serviles qui décrivent le costume
fantôme et le disent magnifique, mais surtout
parce que ce sont les gens qui sont nus, qui n'ont
aucun pouvoir pour défier l'autorité. Ils n'ont
aucun moyen d'exprimer collectivement ce qu'ils
pensent, en tant que corps politique. L'option
qu'on leur offre est de faire appel à ceux qui
gouvernent d'être plus justes ou plus magnanimes,
moins arrogants, etc. Dans tout cela, il est clair
que ceux qui gouvernent n'ont aucun intérêt à
garantir le droit à un vote éclairé. La
participation du peuple aux élections sert à
donner au pouvoir de ceux qui ont usurpé le
pouvoir par la force l'apparence de consentement
des gouvernés. Le processus a été mis en place
pour défendre des intérêts privés puissants et
aujourd'hui, ces intérêts agissent à l'échelle
mondiale et non à l'échelle nationale. Parler de
souveraineté aujourd'hui est devenu anathème.
La suppression du cautionnement de mise en
candidature de 1 000 $ est un
développement positif parce qu'elle enlève un
obstacle aux citoyens qui veulent se présenter
comme candidats sans égard à leur capacité
financière. Elle n'empêche pas ceux qui ont le
pouvoir économique et politique d'exercer leurs
privilèges pour restreindre et limiter l'exercice
du droit d'élire et d'être élu de l'ensemble des
citoyens. C'est une chose communément admise que
seuls les candidats choisis par les partis
politiques de l'ordre établi ont une chance
raisonnable de se faire élire à cause de toutes
sortes de facteurs qui échappent au contrôle de
l'électorat.
LML : Pouvez-vous
expliquer en quoi consistent les exigences de mise
en candidature ?
ADC : Les
exigences de mise en candidature des candidats
sont censées donner une sorte de légitimité à la
façon dont les candidats ont été sélectionnés,
mais cela ne fonctionne certainement pas
aujourd'hui. De plus, les exigences de mise en
candidature sont censées mettre en place « des
règles du jeu équitables » parce qu'elles
s'appliquent également à tous. On dit qu'elles
font en sorte que les « candidats frivoles »
soient découragés. Qui décide ce qu'est un
candidat frivole et des critères utilisés pour
porter un tel jugement est encore une autre
question qui nous ramène au coeur même du problème
d'un système qui est corrompu.

Ces critères proviennent de l'époque où seuls les
hommes blancs propriétaires avaient le droit de
vote. L'exigence de la collecte de signatures pour
le candidat et le cautionnement de mise en
candidature étaient logiques pour ces hommes
propriétaires dont la démocratie était conçue pour
écarter le hoi
polloi, un terme qui vient du grec et qui
signifie « la multitude ». Obtenir 200
signatures parmi le nombre limité d'hommes qui
avaient le droit de voter à une époque où une
circonscription pouvait compter aussi peu
que 3 000 personnes était considéré
comme « représentatif » de cette
circonscription. En ce moment, il faut 100
signatures pour déposer une mise en candidature
dans une circonscription de 85 000 à 145 000
personnes. Les « partis » à cette époque
étaient les représnetants des oligarques, les
représentants des classes possédantes qui étaient
élus formaient le Parlement. Également dans le
passé, les cautionnements de mise en candidature
étaient liés au fait que les hommes étaient les
seuls à pouvoir se porter candidats et que cet
argent étaient effectivement utilisés pour payer
les élections elles-mêmes; le coût de
l'autogouvernance.
Au fil du temps, le mouvement ouvrier pour
l'habilitation a conduit d'abord au suffrage
universel masculin, puis aux partis de suffrage
universel. Les « partis de masse » ont
été créés pour représenter les intérêts non
oligarchiques et ils assumaient le rôle de
pression « extra-parlementaire ». Le rôle des
partis de masse de faire céder à leurs pressions
les partis partis qui siégaient au parlement. Tant
qu'il y avait un rapport entre ceux qui se
présentent aux élections et leurs électeurs, ces
derniers pouvaient exercer une certaine influence
par la pression, mais aujourd'hui le lobbying et
l'influence décisifs sont ceux des grands intérêts
privés.
Ce n'est que beaucoup plus tard, vers la fin des
années 1960, que le concept de candidats «
frivoles » est apparu dans le vocabulaire
politique officiel pour marginaliser ceux qui
contestent le règne des classes possédantes. Le
problème auquel sont confrontés ceux qui
s'efforcent de démocratiser le processus est que
l'élimination de ces exigences, comme
l'élimination/l'augmentation/la diminution du
montant du cautionnement ou du nombre de
signatures nécessaires, ne change pas l'objectif
du processus qui est de prétendre que les
gouvernants ont le consentement des gouvernés.
Aujourd'hui, même l'apparence de gouverner avec le
consentement des gouvernés n'existe plus. De plus
en plus, le slogan « Pas en mon nom ! »
se fait entendre dans les manifestations. On peut
également voir qu'à cause de cela, il y a de plus
en plus d'arguments dans les milieux gouvernants
sur la nécessité de protéger la sécurité nationale
au moyen d'un régime militaire.
Avec la domination du système de partis sur le
système de démocratie représentative, les partis
politiques se sont mis à nommer les candidats.
Aujourd'hui, la sélection des candidats et leur
mise en candidature figurent parmi les rôles les
plus importants des partis politiques. On ne finit
plus de nous le répéter, même si le système est en
train de tomber en morceaux. Les listes de membres
fausses ou fictives des partis politiques sont
devenues endémiques dans les courses à
l'investiture où les élites du parti alignent ce
qu'on appelle les candidats étoiles. Dans les
campagnes à la chefferie des partis, des batailles
majeures éclatent au sujet des adhésions légitimes
et non légitimes.
Plus la crise du membership des partis
s'aggrave, alors que moins de 1 % de la
population canadienne est membre d'un parti
politique, plus les partis politiques recourent à
des combines pour camoufler l'échec de leur
système appelé démocratie libérale. Au lieu de
faire en sorte que le corps politique participe
aux prises de décisions, la démocratie est réduite
à un « choix » - choisir un candidat pour une
élection est devenu la même chose que choisir un
produit de consommation sur le marché. C'est ainsi
que le Parti libéral essaie de justifier qu'il a
remplacé la qualité de « membre du Parti
libéral » par le statut de « libéral
inscrit » qui inclut tous ceux qui ont visité
son site Web et qui ont signé pour recevoir un
bulletin ou enregistré un « j'aime » sur un
article promotionnel.
Il faut mettre en place les mécanismes
nécessaires qui permettent aux gens de
sélectionner les candidats parmi leurs pairs en
élaborant leurs propres programmes sociaux,
culturels et économiques pour faire avancer la
société. En nommant ceux qui incarnent les
intérêts que leur collectif a identifiés, on donne
naissance à une qualité nouvelle.

Le programme de réforme électorale
du gouvernement Trudeau
Les libéraux font de la cybersécurité le nouvel
objectif des réformes

Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le
gouvernement Trudeau a institué des mesures qui
sapent encore plus ce qu'on le processus
démocratique. Le fait que des gouvernements
successifs ont mis en oeuvre l'offensive
néolibérale antisociale en affirmant avoir le
mandat de le faire, une affirmation en laquelle le
peuple ne croit pas, a énormément contribué à
saper la confiance dans le processus démocratique.
Cela n'a cessé de remettre en question le système
de démocratie représentative qui est perçu comme
représentant les intérêts des riches et non ceux
du peuple.
Après le gouvernement de la main forte de
Stephen Harper, Justin Trudeau a fait de la
réforme électorale un élément central de son
mandat. Il a voulu faire croire au corps politique
que son gouvernement allait établir un système
dans lequel l'allocation des sièges à la Chambre
des communes refléterait mieux les suffrages
exprimés. Ses propositions de réforme faisaient fi
du problème fondamental, à savoir que les
gouvernements exercent le pouvoir politique au nom
d'intérêts privés, mais elles donnaient quand même
l'impression que son gouvernement allait répondre
à une des grandes préoccupations actuelles du
corps politique, qui demande que son gouvernement
soit redevable au peuple. Mais le gouvernement
Trudeau s'est vite fait connaître comme un
gouvernement de la posture. Tout ce qu'il fait est
pour impressionner ou pour tromper.
Malgré tous ses efforts, le gouvernement n'a pas
été capable de faire accepter au corps politique
la méthode de scrutin préférentiel que Trudeau
favorisait. Le comité parlementaire chargé du
dossier a recommandé la tenue d'un référendum sur
un « système de représentation proportionnelle »
pour modifier l'actuel système majoritaire
uninominal à un tour. Le gouvernement a rejeté la
recommandation du comité parlementaire qui était
censé ètre ce que le peuple voulait selon les
représentants du peuple.
Le
gouvernement a ensuite tenu des
consultations-bidon avec des assemblées publiques
scénarisées à l'échelle du pays. Lorsqu'il est
devenu évident que les choses n'allaient pas dans
le sens voulu, il a embauché une firme pour tenir
d'autres consultations-bidon sur un site web dans
l'espoir d'obtenir un résultat différent. Cela n'a
pas marché non plus. On ne peut pas établir une
opinion publique avec du marketing et des
campagnes de relations publiques. Ces méthodes ne
font qu'approfondir les crises de crédibilité et
de légitimité dans lesquelles la démocratie est
plongée. Le comportement très antidémocratique du
gouvernement dans ce dossier de la réforme
électorale s'est soldé par changement de ministre
et le gouvernement a déclaré qu'il abandonnait sa
réforme du mode de scrutin.
Il a alors annoncé une autre priorité de son
programme de réforme électorale : s'attaquer
aux problèmes de la « cybersécurité » et aux
menaces que l'influence étrangère pose selon lui
aux institutions démocratiques du Canada.
L'expression « influence étrangère » est
souvent utilisée comme synonyme d'« ingérence
étrangère », par laquelle on fait référence à
l'ingérence de la Russie et non des États-Unis.
L'ingérence des États-Unis n'est pas considérée
comme un problème.
Tout ceci a davantage approfondi la crise de
crédibilité qui ronge le processus démocratique.
Entre autres choses, le peuple ne reconnaît pas
avoir donné les mandats que les gouvernements
affirment avoir. Après avoir été incapable de
mettre en oeuvre le mandat de réforme démocratique
qu'il disait avoir obtenu du peuple, le
gouvernement Trudeau ne prétend plus avoir un
mandat du peuple pour entreprendre cette nouvelle
priorité qu'est la cybersécurité. Il admet que la
demande vient des agences du renseignement des
États-Unis et de l'OTAN et des alliés qui forment
la communauté du renseignement des « Cinq
Yeux ».[1]
Selon le gouvernement, les changements actuels
sont nécessaires pour protéger ce qu'il appelle la
sécurité nationale pendant les élections. Son air
assuré lui vient du fait que, par définition, les
informations sur les menaces à la sécurité
nationale sont gardées « secrètes » et ne
peuvent donc pas être soumises à l'examen public.
Il sent qu'il n'a pas besoin de s'expliquer
davantage.

Le résultat est que le programme révisé de
réforme démocratique du gouvernement Trudeau place
maintenant le pouvoir décisionnel en ce qui
concerne la légitimité de l'opinion et de la
parole sous la compétence des agences d'espionnage
du Canada, qui travaillent main dans la main avec
leurs contreparties au sein des Cinq Yeux. Cela se
fait dans le cadre de l'OTAN, l'alliance militaire
et politique agressive dirigée par les États-Unis,
qui placent les activités de cybersécurité des
pays membres sous leur propre commandement
cybernétique, comme ils le font pour matériel
militaire.[2]
Les agences de marketing des médias sociaux comme
Facebook et Google ont déjà été recrutées afin de
censurer toute parole qui est vue comme
dommageable à la sécurité nationale. Reste à voir
quels seront les autres changements et leurs
ramifications pour le corps politique.
Le spectre de l'« influence étrangère » et
de l'« ingérence étrangère » dans les élections
va-t-il être agité pour justifier un plus grand
exercice des pouvoirs de police dans la conduite
et la coordination des élections? Cela irait
parfaitement dans le sens de l'intégration
croissante de l'économie canadienne à l'économie
de guerre des États-Unis et du déploiement des
ressources humaines et matérielles dans les zones
de guerre des États-Unis sur la base d'intérêts
géopolitiques qui sont déterminés par le pouvoir
exécutif et non par les peuples.
Pour le corps politique, le danger de tout ce
discours sur l'ingérence étrangère dans les
élections et les institutions démocratiques est
qu'il sert à créer un cadre permettant la
criminalisation de tout citoyen ou résident
canadien et des organisations qui affirment leur
conscience d'une façon que les agences du
renseignement considèrent comme une menace à
l'intérêt national. Ils peuvent être sujets à la
diffamation et catégorisés comme des agents d'une
puissance étrangère qui mettent en danger la
sécurité du Canada. C'est une re-création du
climat de la Guerre froide avec ses accusations
que des agents d'une puissance étrangère
partageaient ou vendaient les secrets nucléaires
et mettaient ainsi la sécurité nationale en
danger.
Pendant la Guerre froide, cet argument a été
utilisé pour promouvoir la contre-révolution et
bloquer le mouvement des peuples pour s'investir
du pouovir, en marche partout dans le monde aux
lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. On a eu
recours au spectre de l'ennemi pour définir le
patriotisme sur une base chauvine et pour rallier
le corps politique derrière les objectifs
anglo-américains de la Guerre froide. Le corps
politique a donc été divisé selon qu'une personne
ou une organisation était considérée comme servant
l'ennemi ou le pays.

Ces spectres servent à détourner l'attention du
besoin d'investir le peuple du pouvoir alors qu'il
est maintenu spectateur des décisions que prennent
les élites dirigeantes dans les confins d'un
processus électoral appelé démocratie
représentative. Ce système aujourd'hui ne peut
même plus créer l'apparence du consentement des
gouvernés pour ceux qui gouvernent en leur nom.
Les mesures de sécurité antidémocratiques qui sont
imposées incitent à des débats sur le besoin de
défendre la définition des droits contenue dans la
Constitution, comme si la Constitution et la Charte
des droits et libertés garantissaient les
droits d'une manière qui bénéficie au peuple. La
clause de la Charte sur les « limites
raisonnables » signifie que les droits sont
traités comme des privilèges accordés ou retirés à
la discrétion de ceux qui sont au pouvoir. En lui
juxtaposant le danger d'ingérence d'une puissance
étrangère ou d'un extrémisme d'un genre ou un
autre, on incite le peuple à se porter à la
défense de la Constitution et à oublier que le
gouvernement des lois, en fait, a été supplanté
par un gouvernement des pouvoirs de police. Le
peuple est maintenu dans ce dilemme et ce n'est
pas tout de suite évident comment il peut
poursuivre la réalisation de son désir
d'habilitation à ses propres conditions.
Les limitations inacceptables de la parole
pendant les élections, qui contredisent la
compréhension du discours politiques parmi le
corps politique, ne vont qu'aggraver la crise dans
laquelle est plongé le système de représentation.
Le PCC(M-L) soutient le principe que le droit de
parole n'est pas seulement un droit civil qui peut
être suspendu, c'est un droit humain. Il doit être
affirmé pour que l'environnement social et naturel
soit humanisé. Affirmer le droit de parole en tant
que droit humain investit le peuple de pouvoir et
fait en sorte qu'il ne puisse pas être écarté aux
caprices d'un pouvoir arbitraire.
Dans ce numéro, LML donne de
l'information sur le programme révisé de réforme
électorale du gouvernement Trudeau qui jette un
peu de lumière sur la désinformation au sujet de
la cybersécurité. D'autres numéros poursuivront
cette discussion.
Note
1. «
Dangereuse expansion des pouvoirs et de
l'autorité de l'OTAN » Numéro du 2
décembre 2017 du Marxiste-Léniniste

Élargissement des pouvoirs de police pour
criminaliser la conscience et la parole
- Pauline Easton -
  
Il y a un an, Justin Trudeau a remplacé la
ministre des Institutions démocratiques, Myriam
Monsef, par Karina Gould et a remis à la ministre
nouvellement nommée une lettre de mandat révisée
qui disait entre autres choses : « La
modification du système électoral ne fera pas
partie de votre mandat. »[1]

La lettre informait Gould que sa nouvelle
priorité était de défendre le processus
démocratique du Canada contre les cybermenaces. «
En collaboration avec le ministre de la Défense
nationale et le ministre de la Sécurité publique
et de la Protection civile, [vous allez] diriger
les efforts du Canada en vue de défendre le
processus électoral du Canada contre les
cybermenaces. Ceci devrait inclure de demander au
Centre de la sécurité des télécommunications (CST)
de réaliser une analyse du risque que posent les
pirates informatiques pour les activités
politiques et électorales du Canada, et de la
rendre publique. De plus, demander au CST de
fournir aux partis politiques du Canada et à
Élections Canada des conseils sur les meilleures
pratiques en matière de cybersécurité. »
Le gouvernement ferme les yeux sur cette
contradiction flagrante : la promesse
électorale des libéraux de mettre fin au mode de
scrutin majoritaire uninominal à un tour a été
annulée parce qu'il n'y avait pas de consensus ou
de préférence parmi les Canadiens et cette
promesse est supplantée par une autre directive
qui n'a même pas été mentionnée durant la campagne
électorale. Plus important encore, les libéraux
semblent ne pas voir la contradiction évidente
qu'il y a à prétendre défendre la démocratie, qui
est la primauté du droit, tout en confiant au
Centre de la sécurité des télécommunications (CST)
et à d'autres agences d'espionnage un rôle clé
dans la recherche et la prise de mesures contre ce
qu'ils perçoivent comme des « menaces » aux
processus électoraux du Canada par des acteurs
étrangers, ce qui veut dire gouverner par les
pouvoirs de police.
Dans une entrevue récente au National
Observer, intitulée « Des mauvais acteurs
peuvent utiliser les outils démocratiques du
Canada contre nous » (12 février), Gould
parle du travail qu'elle a fait sur la «
cybersécurité électorale » depuis sa
nomination au ministère l'an dernier.[2]
Le National Observer lui a demandé
d'expliquer comment le ministère des Institutions
démocratiques « s'intègre à tous les éléments de
la défense nationale et de la sécurité publique
qui travaillent sur [la cybersécurité] ».
Gould a répondu que la ministre du Patrimoine et
le ministre de l'Innovation, Sciences et
Développement économique sont également mobilisés.
Ces ministères, a-t-elle dit, « réfléchissent à ce
que nous devons faire plus largement en ce qui
concerne la cybersécurité, nos élections et la
démocratie ». Son rôle, dit-elle, consiste
principalement à « coordonner les efforts,
comprendre les ressources dont nous disposons déjà
et nous assurer que nous agissons à l'unisson en
termes de soutien et de ressources ».
Ces réponses vagues ne faisaient pas mention du
projet de loi C-59, Loi en matière de sécurité
nationale, présentement en étude en comité à
la Chambre des communes. Le projet de loi C-59
élargit la sphère opérationnelle du CST, lui donne
le pouvoir de mener des opérations à la fois
défensives et offensives contre les menaces
perçues au processus démocratique du Canada. La
ministre Gould n'a pas non plus mentionné la
collaboration du gouvernement avec Facebook,
Google et d'autres géants de la publicité
numérique pour surveiller la publicité politique
et le discours sur Internet afin de détecter les «
mauvais acteurs ».
« L'influence étrangère dans les élections n'est
pas un phénomène nouveau », dit la ministre
dans l'entrevue. Apparemment incapable de citer
quelque exemple du passé, elle ajout simplement :
« Mais la façon dont cela se fait est quelque
chose de nouveau. C'est un nouvel outil pour faire
le même genre de vieilles choses d'une manière qui
s'adresse directement aux Canadiens, en
particulier les électeurs, comme jamais dans le
passé. »

« (Ma compréhension de la question) continue
d'évoluer à mesure que de nouvelles choses se
révèlent dans d'autres pays et que j'interagis
avec nos homologues à l'étranger pour voir quelles
sont leurs meilleures pratiques, apprendre de leur
expérience et faire en sorte que nous puissions
les mettre en place à mesure que nous élaborons
notre plan ici au Canada », dit-elle.
Voulant donner l'impression qu'il ne s'agit que
d'une courbe d'apprentissage personnelle, la
minjistre ne précise pas qui sont ces «
homologues » ni quelles « pratiques
exemplaires » sont en train d'émerger. Le
gouvernement australien, par exemple, a adopté une
législation qui exige que les citoyens ayant des
relations avec des « étrangers » signalent
ces liens et s'inscrivent auprès de la commission
électorale s'ils s'engagent dans une campagne
politique.
Gould s'est fait demander si, « avec la
connaissance de la cybersécurité que vous
avez », elle a « appris quelque chose qui
vous a choquée ? » La réponse qu'elle a
donnée est difficile à comprendre : « Je
pense que ce que je retiens le plus, c'est que les
outils, les valeurs et les principes qui ont rendu
notre démocratie si forte sont les mêmes que ceux
que les adversaires tentent d'utiliser pour les
saper et créer une crise de confiance dans les
institutions sur lesquelles nous devons compter
pour avoir des élections réussies et une
démocratie forte ... Le fait que des adversaires
tentent d'utiliser ces mêmes canaux pour ébranler
cette confiance mérite notre plus grande vigilance
et c’est en ce sens que nous devons préparer les
Canadiens en vue des prochaines élections. »
Blâmer les « étrangers » pour le manque de
confiance des citoyens envers le processus
électoral, c'est pousser la chose un peu loin.
Est-ce que Gould et le gouvernement Trudeau nous
disent que Brian Mulroney, Jean Chrétien, Paul
Martin, Stephen Harper et Justin Trudeau, qui ont
tous beaucoup contribué à faire des choses que
l'électorat n'a pas approuvées, sont des
étrangers ? En fait, lors des élections
de 2015, les libéraux de Trudeau ont fait
tout un plat du manque de confiance sans précédent
qui existe à l'égard des gouvernements, qu'ils ont
attribué au gouvernement Harper. « Ce gouvernement
conservateur a perdu la confiance des Canadiennes
et des Canadiens », pouvait-on lire dans leur
plateforme. « Après une décennie du régime Harper,
jamais les Canadiennes et Canadiens n'ont eu si
peu foi en leur gouvernement. La raison est
simple : les Canadiennes et Canadiens ne font
pas confiance à leur gouvernement, car le
gouvernement ne leur fait pas confiance. »
[...]
« Nous avons un ambitieux programme en faveur du
changement ; un programme qui nous permettra
de moderniser le mode de fonctionnement du
gouvernement canadien, de telle sorte qu'il soit
plus représentatif des valeurs et des attentes des
Canadiennes et Canadiens..
« La base de notre plan : un gouvernement
transparent est un bon gouvernement. Pour que les
Canadiennes et Canadiens fassent confiance à leur
gouvernement, il faut que le gouvernement leur
fasse également confiance. »
Déclarer que Harper est la cause du manque de
confiance et que le gouvernement doit faire
confiance aux gens, pour en arriver à demander aux
espions et à la police de surveiller les discours
politiques des citoyens, parce que n'importe qui
pourrait être la dupe ou l'émissaire des «
Russes », est vraiment renversant. Pas
surprenant que Gould ait du mal à parler avec
conviction.
Le point du vue du Centre de la sécurité des
télécommunications sur la protection des élections
Gould a dit que le document du CST publié en
juin 2017 intitulé Cybermenaces contre le processus
démocratique du Canada est « la première
évaluation publiquement disponible et publiée dans
le monde, qui traite de la menace de cybersécurité
pour les institutions démocratiques et les
élections ». Elle l'a décrit comme « quelque
chose d'important » et « un très bon premier
pas ».
Même cela n'est pas exact quant aux faits. Le
rapport du CST s'inspire du rapport publié en
janvier 2017 par le directeur du
renseignement national des États-Unis, intitulé «
Évaluation des activités et des intentions russes
lors des récentes élections aux États-Unis ».
Rédigé conjointement par la CIA, le FBI et la NSA,
il mentionne que la Russie avait ordonné une «
campagne d'influence » lors de l'élection
présidentielle américaine de 2016. « Les
objectifs de la Russie », selon le rapport, «
étaient de miner la confiance du public dans le
processus démocratique américain, dénigrer la
secrétaire d'État Clinton et nuire à son élection
et à sa présidence potentielle. » En outre, la
CIA, le FBI et la NSA ont déclaré : « Nous
évaluons que Moscou va appliquer les leçons tirées
de sa campagne ordonnée par Poutine, qui visait
les élections présidentielles américaines, à ses
futurs efforts d'influencer les choses dans le
monde, notamment contre les alliés américains et
leurs processus électoraux. »
L'évaluation du CST, rendue publique le 16
juin, allait dans la même veine, parlant d'une
attaque « hautement probable » contre les
élections fédérales de 2019. Le CST a averti
que les élections, les partis politiques, les
politiciens et les médias sont tous à risque.
Depuis lors, ce verdict a été largement promu par
des médias consentants et le projet de loi C-59
est maintenant en discussion à un comité de la
Chambre des communes.
Même des écoliers pourraient trouver une
définition plus exacte du Canada que le CST qui le
définit comme « un pays du G7, un membre de l'OTAN
et un membre influent de la communauté
internationale ». Cette définition nous amène
aux raisons pour lesquelles le CST affirme que le
processus électoral du pays pourrait être ciblé.
Les « choix du gouvernement fédéral du Canada en
matière de déploiements militaires, d'accords
commerciaux et d'investissements, de déclarations
diplomatiques, d'aide étrangère ou d'immigration
sont influents et percutants », indique le
rapport. Les décisions du gouvernement touchent «
les alliés du Canada et les intérêts fondamentaux
d'autres pays, de groupes étrangers et de
particuliers », poursuit-il.
Une question qui se pose est qui décide les «
choix du gouvernement fédéral » et si, en
adoptant des positions antiguerre sur tous ces
fronts, on ne peut pas mieux écarter ces
dangers ?
Le rapport note également que les gouvernements
à tous les niveaux déterminent les dépenses et
font des lois qui « touchent des dizaines de
millions de Canadiens et qui, dans certains cas
[politiques sur l'extraction de ressources
naturelles] peuvent avoir des répercussions sur
des intérêts étrangers ». On y déclare que
l'un des objectifs de l'intervention cybernétique
étrangère est de « déterminer l'orientation des
politiques, perturber les alliances
internationales qui sont une menace pour ses
intérêts et affaiblir les leaders qui représentent
une menace ».

Par un tour de passe-passe, le CST parvient à
relier les politiques gouvernementales
actuelles, l'adhésion à l'OTAN et l'intervention
cybernétique étrangère au discours politique
pendant une élection qui critique les politiques
gouvernementales ou l'adhésion à l'OTAN, ce qui
mine la confiance du public selon le CST. Le but
des élections est censé être d'exprimer la
volonté du peuple. Si des politiques comme
l'intégration du Canada dans la machine de
guerre américaine et l'appartenance à l'OTAN
doivent maintenant être considérées comme des
questions de sécurité nationale, quel discours
politique, débat ou dispute le CST
permettra-t-il ?
Selon le système de démocratie représentative,
les citoyens peuvent apporter des changements
par des manifestations, des pétitions et des
élections. Le gouvernement s'est visiblement
créé un dilemme pour lui-même. Il n'est pas
rationnel de croire pouvoir contrôler la volonté
du peuple en imposant des pouvoirs de police et
des limitations à la parole au nom de grands
idéaux.
On dit que le CST est un organisme civil, même
s'il s'agit d'une agence de renseignement qui
relève du domaine des pouvoirs (de police) de
prérogative et qui opère nécessairement en
dehors de l'État de droit. Sa conception de la
protection des élections et des institutions
démocratiques est fondée sur un devoir qu'il
s'imagine être le sien de défendre les alliances
militaires et économiques actuelles du Canada.
Cela mène à la conclusion que le CST s'est donné
le mandat de détecter les campagnes qui, selon
lui, vont à l'encontre de l'adhésion du Canada à
l'OTAN, par exemple, et de déclarer qu'elles
sont d'inspiration étrangère et donc illégales.
Dans son entrevue au National Observer,
la ministre Gould a également parlé de la
protection des partis politiques par le CST et
de sa responsabilité d'éduquer le public. «
L'autre chose dont les Canadiens peuvent être
assurés est que nous avons également permis au
CST de travailler directement avec les partis
politiques pour leur fournir des conseils et des
guides sur la meilleure façon de se protéger
eux-mêmes. Nous poursuivons nos discussions et
réfléchissons à ce que nous devons faire, que ce
soit en ce qui concerne les plateformes de
médias sociaux, les campagnes d'éducation, des
interventions auprès des médias que je peux
faire et le rôle des médias, parce que les
médias jouent un rôle important sur la manière
dont les gens consomment de l'information. Et la
manière dont ils rendent compte des campagnes de
désinformation est également très
importante. »

Voilà une belle façon de détourner la discussion
que les Canadiens tiennent sur les problèmes
auxquels ils sont confrontés en raison du
processus électoral et politique actuel et de son
besoin de renouveau ! Cette discussion
est-elle une « menace » posée par « de
mauvais acteurs » ? Le mouvement
antiguerre des Canadiens devrait-il « être sur ses
gardes » pour « détecter » une
intervention malveillante lors des élections
fédérales de 2019 à chaque fois qu'un
programme est mis de l'avant qui s'oppose à l'OTAN
ou au bellicisme américain et canadien en Ukraine,
en raison de l'encerclement de la Russie et toutes
les autres questions qui affectent la connivence
géopolitique des États-Unis et de son alliance de
guerre dirigée par l'OTAN ?
La ministre dit qu'elle mettrait à jour la Loi
électorale du Canada afin que tout, y
compris la cybersécurité, soit en place pour les
élections fédérales de 2019. « Il est
important que nous ayons [cette cybersécurité] en
place. Nous savons que c'est un défi difficile à
relever car nous savons que les menaces échappent
à notre contrôle. Tout ce que nous pouvons faire,
c'est nous préparer le mieux possible et je pense
que j'ai le mandat de travailler avec des
collègues pour rendre les institutions publiques
ouvertes et transparentes et pour instaurer la
confiance parmi les Canadiens »,
conclut-elle.
Il est évident que des changements sont en cours
pour modifier la façon dont les élections
fédérales sont réglementées et surveillées par la
police. Il se peut très bien que les règlements
sur la sécurité nationale et la défense ne soient
même pas intégrés à la Loi électorale du
Canada, mais qu'ils passent par d'autres
lois, comme le projet de loi C-59. Élections
Canada est de plus en plus souvent contourné en
tant qu'organisme de réglementation électoral
autorisé par les pouvoirs publics, tandis que la
police et les sociétés privées sont mises à
contribution. Par exemple, Élections Canada a pour
politique de ne pas réglementer ou surveiller les
documents non payés sur Internet. Le géant
Facebook basé aux États-Unis a cependant reçu le
feu vert du gouvernement libéral pour le faire
grâce à l'initiative sur Facebook appelée «
initiative de soutien à l'intégrité électorale au
Canada ».
La ministre Gould fait écho au rapport du CST
selon lequel les citoyens doivent « avoir
confiance que le processus [électoral] est
équitable, que les politiciens ne sont pas
redevables à des intérêts étrangers ou criminels
et que les médias ne sont pas influencés par des
intérêts étrangers ou criminels qui tentent
d'influencer les électeurs et le résultat du
processus démocratique ».
Bons et mauvais acteurs
Mais la description de qui est un « intérêt
criminel étranger » est purement subjective
et cynique. Tous les partis politiques cartellisés
au Canada embauchent des sociétés étrangères
spécialisées dans la conduite de campagnes
électorales partout dans le monde dans le but de
politiser des intérêts privés. Ces stratèges et
agents du marketing fonctionnent comme une armée
de mercenaires, se déplacent de pays en pays, dans
de nombreux cas liés aux mêmes oligarques
financiers représentés par les partis politiques
qu'ils travaillent à mettre au pouvoir.
Lors de l'élection fédérale de 2015, les
conservateurs ont fait venir le conseiller de
campagne australien Lynton Crosby, décrit comme «
le maître de la politique de division - où les
partis exploitent des problèmes sociaux comme le
crime ou la race ou l'immigration pour diviser
l'opinion publique en leur faveur ». Il a été
décrit comme le « magicien d'Oz » en raison
de son « habileté à la messagerie politique, qui
s'appuie sur le ciblage de certains groupes
d'électeurs et utilise des sondages pour affiner
l'effort ».[3]
À l'approche des élections de 2015, on a
rapporté que les libéraux de Justin Trudeau « ont
reçu discrètement des conseils réguliers de
Jennifer O'Malley Dillon, la directrice adjointe
de la campagne de Barack Obama lors de la dernière
campagne présidentielle américaine ». Les
militants néodémocrates de Thomas Mulclair « ont
reçu des conseils de Jeremy Bird qui était le
directeur national de campagne d'Obama ». [4]
Après les élections, Campaigns &
Elections, une revue en ligne américaine «
axée sur les outils, les tactiques et les
techniques de la profession de consultant
politique », a publié un article sur la
victoire de Justin Trudeau sous le titre «
Consultants forego Canadian Victory Lap »
(Les consultants n'ont pas participé aux
célébrations électorales canadiennes). La revue
rapporte que normalement les consultants «
n'hésitent pas à se vanter de leur participation à
une course gagnante mais la sensibilité du client
à l'égard des Américains et des accords de
non-divulgation (NDA) ont fait que la vantardise a
été réduite au minimum - même de la part de ceux
qui ont travaillé directement avec le Parti
libéral du nouveau premier ministre Justin
Trudeau ».
La firme Precision Strategies, basée aux
États-Unis, est une des entreprises que les
libéraux ont utilisées. Elle a joué un rôle actif
dans les campagnes de Barack Obama et se vante
d'avoir « lancé la politique de la
précision » et a « créé de nouveaux outils
axés sur les données pour atteindre les bons
auditoires avec les bons messages - puis les
mettre en action ». NGP VAN, qui a développé
les bases de données électorales de la campagne
d'Obama, a également été embauché par les
libéraux.
La politique de la division, visant à s'emparer
des « niches de marchés d'électeurs » est
précisément la même tactique que les « mauvais
acteurs » sont accusés d'utiliser, comme dans
le cas des États-Unis où les influenceurs
étrangers tentent de « semer la discorde » et
les « divisions » entre les gens. Quand la
ministre Gould parle d'« adversaires » qui
utilisent « les mêmes outils, valeurs et
principes » que les protagonistes
autoproclamés utilisent, nous dit-elle qu'il y a
de « bons acteurs étrangers » dont elle ne
s'inquiète pas versus sa catégorie de « mauvais
acteurs étrangers » ?
Le besoin d'investir le peuple du pouvoir
souverain

Tout cela détourne l'attention du fait singulier
qu'aujourd'hui l'édification nationale bourgeoise
appartient au passé. Le pouvoir de l'État n'est
plus exercé par les États-nations par rapport à
leurs propres corps politiques et en relation avec
les autres pays sur la base de comment l'intérêt
national était défini dans le passé. Les notions
de souveraineté nationale n'ont pas de sens
lorsque la prise de décision est entre les mains
d'intérêts privés qui opèrent sur une base
supranationale. Les intérêts privés se regroupent
en oligopoles qui interviennent et maraudent en
coalitions et en cartels. C'est quelque chose
qu'ils ont fait sous une forme ou une autre depuis
que ces États-nations ont vu le jour, mais
aujourd'hui la conception de la souveraineté
nationale n'existe pas en termes matériels, sauf
dans les pays qui ont des formes qui investissent
du pouvoir souverain le peuple, lequel exerce son
pouvoir de décision à l'intérieur de son propre
territoire d'une façon qui le favorise.
Parler d'influence ou d'ingérence «
étrangère » sans préciser où réside la
souveraineté, c'est parler à travers son chapeau.
Si la souveraineté est entre des mains étrangères,
comment peut-on parler d'« influence
étrangère » ou de « ingérence » ?
Il vaudrait mieux que les Canadiens gardent
leurs pieds fermement ancrés sur leur sol et
entreprennent un projet d'édification nationale
qui confère la souveraineté au peuple et non à des
intérêts privés étrangers qui définissent d'autres
intérêts privés étrangers comme l'ennemi. Au bout
du compte, les mauvais intérêts étrangers
s'avéreront être vous et moi.
Il est difficile de croire que le CST et le
gouvernement Trudeau pensent vraiment que les
Canadiens croient un seul mot de ce qu'ils disent
tellement leur argument est grossier. Mais penser
n'est pas le fort de ceux qui gagnent leur vie à
répéter les arguments intéressés des impérialistes
américains.
Notes
1. La lettre mentionne : « Toutefois,
aucune préférence à l'égard d'un système électoral
en particulier n'est ressortie clairement, encore
moins un consensus. De plus, tenir un référendum
sans qu'il y ait de préférence ou de question
claire ne serait pas dans l'intérêt du
Canada. »
2. National Observer, le 12
février 2018, « Bad actors may use Canada's
democratic tools against us, says Gould prior to
mat leave », Elizabeth McSheffrey
3. Globe and Mail, le 10
septembre 2015, mis à jour le 25
mars 2017. « Controversial Australian
strategist to help with Tories' campaign »
4. Globe and Mail, le 27
décembre 2014, mis à jour le 25 mars, «
Former Obama aides advising NDP, Liberals on
campaign strategy »

Les théories du complot de l'élite dirigeante
- Enver Villamizar -
Des pouvoirs de police sont mis en place pour
surveiller ouvertement le discours politique. Le
Centre de la sécurité des télécommunications (CST)
du Canada maintient que les Canadiens n'ont pas à
s'inquiéter puisque la Charte des droits et
libertés protège « le droit à la liberté
d'expression et de conscience, ce qui permet
notamment aux citoyens de présenter des idées en
public, de les propager et d'en débattre ».
Cependant, la ministre des Institutions
démocratiques et le CST associent la liberté
d'expression à la nécessité de pouvoirs de police
pour créer un climat de « confiance »
vis-à-vis les élections et faire en sorte que les
politiciens ne soient pas soumis à une influence
étrangère. Ils disent qu'il doit y avoir un
équilibre entre les droits et la sécurité. Comment
se fera cet équilibre ? En donnant au CST les
outils d'espionnage pour signaler ce qui lui
semble un discours suspect et le soumettre à des
tactiques de perturbation.

Cela montre que les théories du complot sont
devenues la nouvelle norme. L'ironie de la chose
est que c'est fait au nom de combattre la
perturbation d'inspiration étrangère et les
théories du complot. Selon un groupe d'anciens
agents du renseignement, de la sécurité nationale
et de la politique étrangère américains qui sont
intervenus dans l'enquête en cours sur la présumée
ingérence russe dans les élections américaines, la
Russie mène « une campagne multilatérale de guerre
de l'information de type feu de
broussailles » partout dans le monde. Cette
campagne, disent-ils, comprend « la désinformation
écrite et orale, la propagation de théories du
complot, des efforts pour contrôler les médias, le
recours à la contrefaçon, des campagnes
d'influence politique, le financement de groupes
extrémistes et d'opposition et les
cyberattaques ». L'objectif visé par cette
campagne, poursuivent-ils, est demeurée constante
« tout au long de l'histoire ». Dans le
contexte actuel, l'émergence de plateformes de
réseaux sociaux a « déclenché une nouvelle
épidémie virulente de ces campagnes
d'influence ».[1]
Le groupe d'anciens agents de renseignement, de
la sécurité nationale et de la politique étrangère
américains reconnaît qu'au fil des années « le
paysage géopolitique a changé » mais il
soutient que les objectifs globaux restent les
mêmes (que pendant la Guerre froide), soit « miner
la confiance dans les dirigeants et les
institutions démocratiques, semer la discorde
entre les États-Unis et leurs alliés, discréditer
les candidats politiques perçus comme hostiles au
Kremlin, influencer l'opinion publique contre les
programmes militaires, économiques et politiques
des États-Unis et créer la méfiance et la
confusion quant aux sources d'information ».
Est-ce que cela veut dire que le critère
permettant d'établir si vous êtes un élément
hostile ou non est si vous parlez contre l'OTAN,
le G7, l'encerclement de la Russie, les forces
néo-nazies en Ukraine, dans les républiques baltes
et en Pologne, ou en faveur de la paix en Syrie ou
sur la péninsule coréenne ou de la non-ingérence
dans les affaires du Venezuela ? Pour en arriver
là, ces experts autoproclamés en renseignement
notent qu'une des caractéristiques principales de
la campagne russe est qu'elle compte sur « des
intermédiaires ou des 'coupe-circuit' dans un pays
donné ». Ces « coupe-circuit » peuvent
être des « organisateurs et des activistes
politiques, des universitaires, des journalistes,
des exploitants de site Web, des sociétés-écran,
des nationalistes, des groupes militants, et
d'importants hommes d'affaires russes. Ils peuvent
aussi être des complices involontaires qui sont
manipulés et poussés à agir dans ce qu'ils croient
être dans leurs meilleurs intérêts, ou encore
l'allié idéologique ou économique qui partage en
grande partie les intérêts russes, ou encore
l'agent d'influence complice qui est recruté ou
forcé de directement mener à bien des opérations
ou objectifs russes ». Ces acteurs locaux,
qui sont à la fois des « nationalistes,
populistes, activistes politiques et sympathisants
russes » servent à la Russie dans ses efforts
de « corrosion interne des institutions
démocratiques ».

Ils préviennent que « la menace que font peser
sur notre démocratie les campagnes russes de
mesures actives est sérieuse et continue et
exigera la vigilance du gouvernement et du peuple
américains. Pour assurer cette vigilance, il
faudra selon ces experts élever le niveau de
conscience des branches législatives, exécutives
et judiciaires américaines ainsi que des médias et
de la société civile sur comment la Russie mène
ses campagnes d'influence sophistiquées — des
campagnes conçues pour obscurcir et se dissimuler
— afin que ces acteurs gouvernementaux et
non-gouvernementaux puissent prendre des décisions
qui tiennent pleinement compte de la nature et de
l'ampleur de ces activités et des menaces qu'elles
représentent ».
Telle est la conclusion que le gouvernement
Trudeau impose maintenant au Canada également.
Ouvrons l'oeil sur toute tentative de l'élite
dominante d'invoquer des théories de la
conspiration pour diviser le peuple !
Note
1. Mémoire d'anciens agents
de la sécurité nationale en tant qu'Amici
Curiae en appui à aucun parti présenté le 8
décembre 2017 à la Cour de district des États-Unis
de Columbia par 14 anciens membres du
renseignement, de l'armée et du Département d'État
américains dans le cadre de la poursuite intentée
par trois citoyens privés contre la campagne du
président Donald Trump et de son conseiller Roger
Stone.

Dispute entre la
Colombie-Britannique et l'Alberta au sujet de
l'oléoduc Trans Mountain
Diviser le corps politique pour servir les
intérêts privés qui rivalisent entre eux

Manifestation à Vancouver, le 29 novembre 2016,
après que le gouvernement Trudeau ait donné son
aval au prolongement de l'oléoduc Trans Mountain
de Kinder Morgan
Les gouvernements NPD de l'Alberta et de la
Colombie-Britannique sont engagés dans une
bataille sur l'expansion de l'oléoduc Trans
Mountain de l'Alberta vers Burnaby en
Colombie-Britannique où le bitume serait chargé
sur des pétroliers et exporté vers les marchés
asiatiques. Selon les acteurs principaux du
conflit, la dispute oppose ceux qui défendent les
intérêts des travailleurs à ceux qui défendent les
intérêts de l'environnement. La première ministre
de l'Alberta Rachel Notley prétend que le
gouvernement de la Colombie-Britannique agit
illégalement et que ses actions sont des attaques
contre les travailleurs canadiens. Le gouvernement
de Colombie-Britannique soutient qu'il agit en
vertu de son autorité de défendre l'environnement,
en particulier les eaux côtières.
On dit que le conflit s'est envenimé quand le
ministre de l'Environnement et de la Stratégie sur
les changements climatiques de
Colombie-Britannique, George Heyman, a annoncé,
le 30 juin, qu'il va tenir des consultations
sur la nouvelle réglementation qui requiert une
étude plus poussée des conséquences d'un
déversement de bitume et plus de certitude en ce
qui a trait au temps de réponse à un déversement,
au nettoyage environnemental et à l'atténuation
des dommages. Heyman a dit que des restrictions
sur l'augmentation du transport du bitume vont
s'appliquer jusqu'à ce que les études soient
complétées. Le premier ministre de la province,
John Horgan, a dit depuis que le gouvernement
n'avait jamais eu l'intention d'arrêter les
expéditions de bitume tant que l'étude n'aura pas
été complétée.
En réponse à l'annonce de Heyman, le
gouvernement de l'Alberta s'est retiré des
pourparlers sur l'achat d'électricité du nouveau
barrage du site C en Colombie-Britannique et il a
annoncé une interdiction d'importer des vins de
Colombie-Britannique. La première ministre Notley
a dit que la proposition de la
Colombie-Britannique est illégale et
anticonstitutionnelle et a demandé l'intervention
du gouvernement fédéral. Elle a mis sur pied un
panel de 19 membres qui comprend des
représentants du gouvernement et de monopoles
pétroliers et financiers pour examiner d'autres
gestes de représailles.[1]

Le gouvernement NPD de la Colombie-Britannique va
de l'avant avec la construction du
site « C » du barrage sur la rivière de la Paix
malgré la vaste opposition.
Ce qui toutefois doit être noté c'est que mis à
part les commentaires du ministre de
l'Environnement de la Colombie-Britannique, rien
ne s'est passé qui mériterait les mesures de
représailles de Notley. Elle est si désespérée
qu'elle fait des déclarations dignes de la déesse
de la guerre Athéna qui se fait la gardienne de l'
« intérêt national » du Canada.

« Ce projet a été approuvé dans l'intérêt
national et c'est dans l'intérêt national qu'il
doit être construit. Nous n'allons pas nous
arrêter tant que le projet n'est pas
construit », a dit Notley. « Ce n'est pas une
lutte entre l'Alberta et la Colombie-Britannique.
La Colombie-Britannique est en fait en train
d'essayer d'usurper l'autorité du gouvernement
fédéral et de saper la base de notre
Confédération. »
Le gouvernement NPD de l'Alberta a aussi initié
une pétition dont le message est : « Dites au
premier ministre Horgan et au gouvernement de la
Colombie-Britannique d'arrêter de créer des
obstacles aux travailleurs canadiens. »
Le recours aux menaces et contre-menaces, aux
mesures de représailles et aux jeux de pouvoir est
devenue chose courante dans un monde basé sur les
relations d'argent. Un des membres du groupe de
travail de 19 membres mis sur pied par Notley
est Peter Hogg de la firme d'avocats Blakes. La
firme Blakes a publié un commentaire de Hogg sur
son site web qui dit que les actions du
gouvernement de la Colombie-Britannique risquent
de faire éclater le Nouveau partenariat de l'Ouest
(NWPTA) et l'Accord du libre-échange (ALÉ).
Le NWPTA est un accord conclu entre les
gouvernements de Colombie-Britannique, de
l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba qui «
crée au Canada le plus vaste marché
interprovincial libre de barrières
tarifaires ». Il y est dit
expressément : « Article 3 - Absence
d'obstacles. Chaque partie doit s'assurer que ses
mesures ne restreignent pas ou n'entravent pas le
commerce entre ou sur le territoire des
parties ». Il comprend un mécanisme
exécutoire de règlement des différends.
L'article suggère que si la Colombie-Britannique
venait à adopter une loi restreignant le mouvement
du bitume, les producteurs et les expéditeurs
pourraient demander une injonction pour retarder
la mise en oeuvre de la loi jusqu'à ce qu'une
contestation constitutionnelle soit entendue.
L'article ne mentionne pas que le gouvernement
albertain ait enfreint le NWPTA en interdisant
l'importation des vins de Colombie-Britannique. Ni
la Colombie-Britannique, ni l'Alberta n'ont
mentionné l'existence de cette entente et
l'Alberta a plutôt demandé l'intervention du
gouvernement Trudeau. Par contre, le 19
février, le gouvernement de Colombie-Britannique a
annoncé qu'il va contester formellement cette
interdiction en vertu du processus de résolution
des différends compris dans l'Accord de
libre-échange canadien.
Les
commentateurs suggèrent que le gouvernement NPD de
l'Alberta agit ainsi pour faire dérailler Jason
Kenney et le Parti conservateur uni et présenter
le NPD comme le « défenseur de l'Alberta ».
Cela masque le fait que c'est Kinder Morgan, le
constructeur des oléoducs Trans Mountain, et
d'autres monopoles pétroliers qui tirent les
ficelles et demandent des changements à la
réglementation afin de pouvoir faire comme bon
leur semble. Cela montre que la rivalité entre les
monopoles pétroliers s'envenime au détriment du
Canada et des Canadiens, une rivalité qui n'a rien
à voir avec la protection des intérêts des
travailleurs ou de ceux de l'environnement.
Tout ceci se déroule au moment où le
gouvernement Trudeau a annoncé qu'il va éliminer
l'Office national de l'énergie et créer un régime
de réglementation entièrement nouveau. Est-ce que
l'objectif véritable de cette dispute
Alberta/Colombie-Britannique est de mettre le
gouvernement Trudeau sur la sellette pour qu'il
mette en place les changements réglementaires que
demandent les monopoles qui menacent sinon d'aller
investir ailleurs ?
Bien que l'oléoduc Trans Mountain ait reçu
l'aval de l'Office national de l'énergie et du
gouvernement fédéral, Kinder Morgan doit encore
recevoir les permis des municipalités et du
gouvernement provincial. [2] En plus, Kinder
Morgan fait face aux contestations judiciaires des
villes de Vancouver et de Burnaby, de la Nation
Squamish, de la bande indienne de Coldwater, de la
bande indienne de Musqueam, de la fondation
Raincoast Conservation et de la société Living
Oceans qui ont tous requis une révision judiciaire
de la décision de l'Office national de l'énergie
qui a autorisé l'oléoduc.
Il faudra aussi déterminer si le gouvernement de
Colombie-Britannique a rempli son devoir de
consulter les nations autochtones. Dans sa
décision de 2017 dans la cause Premières
Nations côtières c. La Colombie-Britannique
(Environnement), la Cour suprême de
Colombie-Britannique a soutenu la position de la
Première Nation Gitga'at et des Premières Nations
côtières que le gouvernement provincial devait
décider s'il allait émettre un Certificat
d'évaluation environnementale (ÉE) au projet de
Northern Gateway d'Enbridge et qu'il devait
consulter les Premières Nations avant de le faire.
La cour avait aussi statué que la
Colombie-Britannique pourrait imposer des
conditions additionnelles.
Kinder Morgan prétend que le processus
d'autorisation est utilisé pour retarder et
entraver la construction. Il dit que rien ne
devrait retarder son échéancier de construction.
En décembre 2017, Kinder Morgan a réussi à
obtenir de l'Office national de l'énergie la
décision qu'il peut entreprendre la construction
dans la ville de Burnaby sans se conformer à
plusieurs règlements municipaux. La ville de
Burnaby avait fait valoir que Kinder Morgan était
responsable des délais parce qu'il n'avait pas
demandé les permis nécessaires.
On
doit se rappeler qu'en 2007, l'oléoduc de
Kinder Morgan à Burnaby a subi un bris de la part
d'une tierce partie qui a causé des dommages
sérieux aux maisons avoisinantes et le déversement
de 78 000 litres de pétrole brut dans la
baie Burrard qui ont contaminé 15 000
mètres de littoral. Kinder Morgan avait reçu une
amende de 150 000 $.
Il y a des preuves certaines que Kinder Morgan a
été autorisé à ignorer les conditions mises par
l'ONÉ en toute impunité. Toujours au mépris de la
loi et de la réglementation en vigueur, Trans
Mountain a placé sans permis dans des rivières des
tapis pour décourager le frai, qu'il a dû enlever.
Différents experts ont aussi mentionné que Kinder
Morgan a une longue habitude de « lésiner sur les
mesures de sécurité ».
Un amalgame entre l'intérêt national et
les demandes des monopoles
Les gouvernements
fédéral et albertain disent constamment que
l'oléoduc Trans Mountain est dans l' « intérêt
national ». L'Office national de l'énergie
est chargé de faire de la réglementation dans
l'intérêt public mais les gouvernements ne parlent
plus d'intérêt public mais bien d' « intérêt
national ». Un signe d'égalité est ensuite
tracé entre intérêt national et les intérêts
étroits des monopoles qui décident à eux seuls ce
qui est produit et comment c'est produit. Une fois
qu'un projet a été déclaré question d' « intérêt
national », plus rien ne peut lui barrer le
chemin. Il semble que l'affirmation du droit des
nations autochtones au consentement préalable pour
des projets qui se mènent sur leurs terres
traditionnelles et sur des territoires non cédés
constitue un danger pour l'intérêt national. Il
semble également que ce qu'on considère comme des
intérêts régionaux ou locaux, comme des règlements
municipaux ou provinciaux, soient devenus un
danger pour l' « intérêt national ».
Dans sa plainte à l'Office national de l'énergie
en décembre 2017, Kinder Morgan a dit que le
processus d'autorisation lui causait des délais.
Il a dit avoir besoin d'une « idée claire de
l'échéancier des processus d'autorisation et
d'approbation avant de s'engager à faire des
dépenses pour la pleine construction du
projet » et qu'il avait établi son budget
pour 2018 dans cette optique.
Il semble que Kinder Morgan demande que des
permis lui soient accordés sans que lui-même ait
nécessairement rempli ses obligations et que, s'il
est entravé par des gouvernements locaux ou
provinciaux, il va en appeler aux organismes
réglementaires d'avoir recours à leurs pouvoirs de
police au nom de l' « intérêt national ».
Tout ceci est présenté comme une question de
primauté du droit et une défense de la
Constitution canadienne et autres choses du genre.
En fait, cela montre à quel point les oligopoles
ont directement usurpé le pouvoir et gouvernent au
moyen des pouvoirs de police. Les arrangements
constitutionnels en vigueur permettent en fait de
gouverner au moyen des pouvoirs de police mais,
dans le passé, ce phénomène a été plus ou moins
tenu sous contrôle parce que les disputes
tendaient à être résolues par le biais de
mécanismes de résolution des différends. Ces
mécanismes sont maintenant écartés de la manière
la plus intéressée. L'appel du gouvernement Notley
de s'en remettre à la constitution est un signe
d'impuissance et les tergiversations du
gouvernement de la Colombie-Britannique sont aussi
un signe de son impuissance.
L'affirmation
que la construction du pipeline Trans Mountain va
régler les problèmes de l'économie n'a pas de sens
elle non plus. On pourrait en rire si ce n'était
des bouleversements et des difficultés bien réels
ressentis par les travailleurs, agriculteurs,
petites entreprises et peuples autochtones ainsi
que la détérioration de l'environnement. Pour les
travailleurs, dont les années de résistance ont
porté le gouvernement NPD au pouvoir pour qu'il
agisse différemment des autres, c'est du réchauffé
encore une fois. Cela fait longtemps qu'ils ont
rejeté la fiction qu'une plus grande expédition de
matières premières va être une « solution » à
quoi que ce soit.
Les intérêts des travailleurs, des peuples
autochtones et de l'environnement en Alberta et en
Colombie-Britannique requièrent le rejet de la
vieille conscience de la société selon laquelle
nous vivons dans une société civile qui soutient
l'intérêt public. La classe ouvrière doit fournir
une nouvelle direction à l'économie pour résoudre
les problèmes d'une façon qui bénéficie au peuple.
Telle est l'essence de l'édification nationale
dans les conditions actuelles.
Notes
1. Les membres du groupe de travail qui ne
font pas partie du gouvernement sont :
Frank McKenna (Groupe Banque TD et ancien
premier ministre du Nouveau-Brunswick), Anne
McLellan (ancienne vice-première ministre et
ministre des Ressources naturelles), Jim Carter
(ATB Financial et ancien président de Syncrude),
Peter Hogg (chercheur invité chez la firme
d'avocats Blakes) Peter Tertzakian (Arc
Financial), Trevor Tombe (économiste de
l'Université de Calgary), Ginny Flood (Suncor)
et Janet Annesley (Husky).
2. DeSmog Canada rapporte que Kinder Morgan a
peut-être enfreint la condition posée par l'ONÉ
de déposer un plan de gestion de la qualité au
moins quatre mois avant de fabriquer tout tuyau
ou toute pièce de la nouvelle section du
pipeline Trans Mountain. L'ONÉ mentionne dans
ses notes que la documentation fournie par Trans
Mountain en février 2017 était incomplète.
« Le plan de gestion de la qualité requiert
que Trans Mountain fournisse de la documentation
sur les qualifications des entrepreneurs en
oléoducs, les vendeurs et les fournisseurs, la
vérification de la qualité du tuyau fabriqué et
la préservation du tuyau pendant l'expédition et
l'entreposage », fait remarquer DeSmog. Les
documents qu'a soumis Trans Mountain à l'ONÉ ont
confirmé que les contrats de fabrication de
l'oléoduc ont été accordés entre mai et
juillet 2017 et que la fabrication des
tuyaux a débuté en octobre bien que la
documentation requise n'avait pas encore été
fournie.

150e anniversaire de la
naissance de W.E.B. Du Bois
Le legs de W.E.B. Du Bois — Paul Robeson

W.E.B. Du Bois en 1946
|
William Edward Burghardt « W.E.B. » Du Bois
est né le 23 février 1868 à Great
Barrington, au Massachussetts. Ses prises de
position comme activiste politique, être humain,
auteur, sociologue, historien et panafricaniste
lui ont mérité une place d'honneur en tant que
leader américain égal aux plus grands. W.E.B. Du
Bois a étudié à l'université Humboldt à Berlin, à
l'université de Harvard, à l'université de Fisk
ainsi qu'à l'école de la vie. Il est décédé à
accra, au Ghana, le 27 août 1963 à l'âge
de 95 ans.
LML
publie en cette occasion l'hommage écrit par Paul
Robeson, un autre grand leader américain, lui
aussi égal aux plus grands.
***
Quand je rassemble mes souvenirs, la première
chose qui me vient à l'esprit au sujet du docteur
Du Bois est la fierté que je ressentais devant son
érudition et l'autorité dont il jouissait dans ses
nombreux domaines de travail et d'écriture. Au
secondaire et au collège, nos enseignants nous
conseillaient les ouvrages de référence qui
étaient la norme à cette époque touchant à la
sociologie, les relations raciales, l'Afrique et
les affaires mondiales. Je me souviens de la
grande fierté que j'ai ressentie lorsque que ces
livres et ces articles se sont avérés être ceux du
Dr Du Bois, et je les ai souvent prêtés à mes
collègues étudiants qui eux aussi étaient très
impressionnés par l'autorité universellement
respectée et reconnue de l'homme.
En tant qu'étudiants noirs, nous sommes devenus
membres de l'Association nationale pour
l'avancement des gens de couleur (NAACP) que le Dr
Du Bois avait contribué à organiser et bâtir. Nous
lisions religieusement The Crisis dont
il a été le rédacteur en chef pendant si
longtemps, et dans lequel il écrivait de façon
limpide, constructive et militante au sujet des
problèmes complexes de la scène américaine, de la
question noire, de l'Afrique et des affaires
mondiales. Il a appelé le peuple américain, et en
particulier tout le mouvement syndical, à bien
saisir la nécessité de l'unité dans la lutte des
masses laborieuses, y compris les Noirs, pour un
niveau de vie décent.

L'article de Robeson a été
publié dans la revue Freedomways
à l'hiver 1965. Cliquer sur l'image pour
l'agrandir.
|
Pour nous, le Dr Du Bois était notre professeur,
le docteur, le doyen, et nous en parlions avec le
plus grand respect, prêtant une oreille attentive
à toutes ses déclarations. Nous l'avons suivi en
grand nombre avec fierté, marchant le long de la
Cinquième Avenue dans une manifestation du NAACP
pour les droits civils. Le Dr Du Bois a parlé,
écrit et marché pour les droits civils. Il
exigeait une citoyenneté de première classe pour
tous les Américains, une pleine égalité
d'opportunité, de dignité et de droits juridiques
pour nous tous. Il prêtait un intérêt et une
attention universels à notre histoire noire et à
notre riche patrimoine africain, pour que les
bases de notre lutte soient des plus solides. Tout
cela s'est passé il y a de très nombreuses années,
bien avant que je ne termine mes études
collégiales en 1919. Notre bon docteur, ce
grand homme, comprenait notre situation, notre
monde, et sa voix parfois isolée retentissait
néanmoins comme un clairon pour annoncer l'urgente
nécessité de changement.
Le docteur Du Bois était un distingué historien
aussi bien qu'un scientifique social. Souvent nous
discutions de la richesse et de la beauté de notre
héritage folklorique, en particulier la musique
noire qu'il aimait et trouvait très émouvante. Il
soulignait souvent l'importance de cette
contribution spéciale à la culture américaine.
Nous avions des discussions intéressantes sur la
ressemblance entre notre musique folklorique noire
et les nombreuses autres musiques folkloriques du
monde.

Du Bois (sixième à partir de la droite, première
rangée) à la 20e session annuelle de la NAACP à
Cleveland en Ohio en 1929
Non seulement notre professeur était-il un grand
universitaire reconnu, il était aussi le plus
distingué de nos hommes d'État. Sa connaissance
des affaires mondiales, sa création du Congrès
panafricain, son travail continu dans plusieurs
capitales du monde pour l'indépendance africaine,
ont fait de lui un homme grandement connu et
respecté à l'étranger et aimé en Afrique. Son
livre, The
World and Africa, a été un des premiers
livres importants sur l'Afrique moderne
d'après-guerre, et a contribué à faire la lumière
et attirer l'attention sur l'exploitation continue
de l'Afrique par le « monde libre ». En tant
que membres du Conseil des Affaires africaines,
nous nous sommes sentis fiers et fortunés lorsque
le Dr Du Bois a décidé de se joindre à notre
organisation en tant que président en 1949.
Ses connaissances, son expérience et sa sagesse
ainsi que le travail du très qualifié et dévoué
secrétaire exécutif de l'organisation, le Dr
Alphaeus Hunton, nous ont permis de faire
certaines précieuses contributions à la lutte du
peuple africain, en particulier en Afrique du Sud.

W.E.B. Du Bois (deuxième à partir de la droite) au
Congrès panafricain à Bruxelles en 1921
Il y a quinze ans, lorsque nous avons fondé le
quotidien noir Freedom
dont le très compétent rédacteur en chef
était notre ami et collègue, le regretté Louis
Burnham, le Dr Du Bois était l'un de nos plus
fidèles et brillants contributeurs. Ses articles
clairs, directs et informatifs sur l'Afrique, sur
le Noir en Amérique, sur la situation mondiale en
changement, donnaient un prestige plus grand à
notre publication.
Être
associé, discuter et travailler avec ce grand
homme était toujours très gratifiant.
Comme résultat sans doute de sa recherche et de
son travail en sociologie, de son étroite
observation de l'histoire et de la vie sociale
américaine, de son vif intérêt continu pour
l'Afrique et pour les affaires internationales, le
Dr Du Bois est devenu un grand supporter du
socialisme en tant que mode de vie. Il a suivi
avec compréhension et appréciation l'émergence de
l'Union soviétique et s'est fait des amis de par
le monde socialiste. Il appréciait non seulement
leur rejet du racisme, mais aussi, en tant que
scientifique social, leur intérêt constructif et
pratique et leur activité gouvernementale concrète
pour le bien-être de la vaste majorité du peuple.
Le Dr Du Bois a dit à maintes reprises qu'il
croyait que la Révolution d'octobre de 1917
représentait le moment décisif de l'histoire
moderne et avait joué un rôle de la plus haute
importance dans le façonnement d'un monde nouveau
qui voyait l'émergence de nombreuses autres terres
socialistes.
C'est donc conformément à cette logique et dans
un geste profondément émouvant qu'en 1961,
ayant bien saisi la situation mondiale, le Dr Du
Bois est devenu membre du Parti communiste des
États-Unis et, plus tard, un citoyen accueilli et
honoré du Ghana, en son Afrique bien-aimée. Il a
suivi avec beaucoup de soucis les luttes pour
l'indépendance dans diverses parties de l'Afrique.
Il savait que ces luttes devaient être remportées
pour que l'Afrique et le peuple africain puissent
développer leur immense potentiel. Sa vive
intelligence, son éducation exhaustive et son
passé académique n'empêchaient pas le Dr Du Bois
d'être un être humain terre-à-terre, doté d'un
esprit vif et charmant, d'un bon sens de l'humour
teinté d'espièglerie, ni de profiter pleinement de
la vie. Je me souviens en particulier de son éclat
de rire enjoué et spontané.

Photo de 2011 du centre qui été nommé en honneur
de Du Bois à Accra au Ghana
Je me souviens aussi d'un merveilleux souper de
l'Action de grâces chez lui à Grace Court à
Brooklyn il y a de cela environ dix ans. Il avait
invité des gens des Nations unies, sachant qu'ils
avaient entendu parler de l'Action de grâces et
avaient lu des choses à son sujet mais n'avaient
pas d'expérience directe pour bien comprendre ce
congé américain spécial. Nous avons donc eu droit
à un repas et à une soirée de l'Action de grâces
aussi authentiques que lui et sa conjointe Shirley
avaient pu organiser, le bon docteur faisant
preuve comme hôte d'esprit et d'entrain dans ses
patientes explications de l'événement -- de la
dinde à la sauce aux canneberges à la tarte à la
citrouille, en passant par les débuts de
l'histoire américaine. Suite à ce délicieux repas,
au moment du café et du brandy devant le feu de
foyer du spacieux salon, il nous a entretenu de
Frederick Douglass, dont le portrait dominait la
cheminée, et de sa place dans l'histoire
américaine. C'est là un heureux et précieux
souvenir.
Je me souviens très bien également de la
campagne politique du DR Du Bois lorsqu'il a été
candidat du Parti du Travail américain de New York
pour un siège au sénat américain. Dans le
tohu-bohu habituel des campagnes politiques
américaines, le docteur Du Bois a toujours
conservé son calme et sa dignité. Il ne
participait pas aux basses manoeuvres d'attaques
et d'injures, mais discutait des vraies questions
à l'aide de discours où il brillait par sa vive
intelligence et son humour tranchant. Nous étions
tous inquiets qu'un homme de son âge -- il avait
alors 82 ans et semblait fragile -- puisse
résister au rythme éreintant d'une telle campagne.
Mais le Dr Du Bois prenait soin de sa santé avec
intelligence, comme pour tout ce qu'il
entreprenait. Par exemple, si les organisateurs
fixaient à 22 heures une réunion où il serait
l'orateur, ils la limitaient à une demi-heure et,
peu importe l'état imprévisible de la réunion,
à 22 heures pile le Dr Du Bois montait sur le
podium, livrait un discours brillant d'une
demi-heure, se reposait un peu, et quittait les
lieux.
À mesure que le docteur Du Bois observait et
comprenait les événements mondiaux, il
reconnaissait la question de la paix comme l'une
des plus importantes questions de l'ère nucléaire.
Ainsi, d'une façon typique chez lui, il devint
associé à tous les mouvements pour la paix dans le
monde et oeuvra activement à la paix.
En 1949, il fut nommé président du Centre
d'information pour la paix ici au pays, et plus
tard a été accusé, jugé et acquitté pour son rôle
dirigeant dans le travail pour la paix.

W.E.B. Du Bois (à droite) et Paul Robeson (au
centre) au Conseil mondial de la paix à
Paris en 1949
Lorsque le docteur Du Bois et Shirley sont venus
à Londres en 1958, nous vivions dans un
appartement à Maida Vale. Peu après leur arrivée,
Eslanda et moi sommes allés à Moscou pour une
longue visite de ce pays et nous avons prêté notre
logis aux Du Bois. Nous étions heureux d'apprendre
qu'ils avaient trouvé leur séjour très plaisant et
que nous avions ainsi contribué à mettre un peu de
confort dans leur visite à Londres. Après leur
départ, nous avons pensé mettre une inscription
sur la porte : « Le Dr Du Bois a dormi
ici. »
Mon dernier souvenir du docteur Du Bois est à
Londres, en 1962, dans des circonstances
moins heureuses. Le docteur, qui avait
alors 94 ans, était gravement malade et s'est
retrouvé à Londres pour une grave opération. Il
était faible et fatigué, et nous nous demandions
avec inquiétude s'il allait survivre à l'épreuve.
À ce moment-là, j'étais moi-même patient dans une
maison de repos à Londres et je me sentais à la
fois attristé et impuissant devant l'état de santé
du docteur. Ainsi, lorsque mon épouse, qui lui
rendait souvent visite à l'hôpital, m'a appris
qu'il voulait absolument me voir et avait demandé
spécifiquement à me voir, je me suis levé et je me
suis rendu à l'hôpital de l'Université de Londres
où nous avons passé du temps ensemble. Malgré son
état de santé précaire, il m'a parlé du travail
qu'il consacrait à l'Encyclopédia Africana. Nous
avons aussi discuté des développements de la
révolte des Noirs chez nous en Amérique, de la
puissance et de l'influence du monde socialiste,
et du merveilleux éveil du peuple africain.

Du Bois et Shirley à la Parade du
Premier Mai à Moscou en 1959
|
Je lui ai rendu à nouveau visite à l'hôpital et
j'ai été enchanté et soulagé d'apprendre qu'il
semblait, de façon presque miraculeuse, avoir
retrouvé la santé. C'était en août 1962.
Alors que je séjournais, en proie à la maladie,
à la maison de repos de Londres, le Dr Du Bois
s'est rétabli de son intervention. Il a eu la
force de se lever et de voyager avec Shirley en
Suisse où il s'est reposé au soleil. Il est allé à
Pékin pour assister à la Célébration d'octobre, à
Moscou pour la Célébration de novembre, et, de
retour à Londres à la fin du mois de novembre, le
docteur Du Bois m'a rendu visite à la maison de
repos. Il m'a fait un compte-rendu fascinant de
son voyage et de ses expériences, qu'il avait
grandement appréciés.
C'est la dernière fois que je l'ai vu. Lui et
Shirley se sont rendus au Ghana où on lui a
réservé un accueil des plus chaleureux.
Mes souvenirs les plus précieux du Dr Du Bois
sont liés à la force et au côté pratique de son
intelligence, à son courage et à son intégrité
intellectuels, à sa lucidité face au monde et à
notre place dans ce monde — ce qui a aussi élevé
notre propre conscience. Sa grande influence sur
la pensée américaine et sur la pensée noire
restera à jamais inestimable. Nous l'admirions, le
respections, l'appréciions et le suivions parce
qu'il était transparent et direct, parce que son
militantisme était fondé sur une force et un
courage des plus combatifs qui lui venaient d'une
grande connaissance, d'une immense sagesse et de
l'expérience. Je me souviens aussi de sa grande
bonté.
Le docteur Du Bois était, et est, dans le sens
le plus profond, un leader américain, un leader
noir, un leader mondial.
(Paru
dans freedoms Ways, 1965. Traduit de l'anglais
par LML.)

Lisez Le
Marxiste-Léniniste
Site web: www.pccml.ca Courriel:
redaction@cpcml.ca
|