Le Marxiste-Léniniste

Numéro 120 - 13 septembre 2016

Croissance exponentielle de la désinformation

Le rôle de puissants intérêts privés
et la nécessité de bâtir nos
propres organisations et médias

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LML reproduit ci-dessous la présentation faite par Sam Heaton au Séminaire sur la situation nationale et internationale organisé par le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) à l'Université d'Ottawa le 14 août 2016.

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Un des grands problèmes auquel est confronté le mouvement du peuple pour s'investir du pouvoir de décider aujourd'hui est la croissance exponentielle de la désinformation qui profite de la modernisation des technologies de l'information et des médias sociaux. De puissants intérêts privés, l'État et ses agents dans les rangs du peuple s'emparent tout de suite des fruits de ce progrès et trouvent les moyens de les utiliser pour dominer l'espace et s'en servir à leurs fins.

Par exemple, avec la montée de grands monopoles des médias sociaux, tels que Facebook et Twitter, l'élite dominante a fait la promotion des médias sociaux et de plateformes tel Wikipedia comme de grands facteurs de démocratisation et prétendu que cela crée maintenant l'« égalité des chances ». S'il y avait concentration des pouvoirs dans la presse traditionnelle, dit-on, ce n'est plus le cas.

Quand on analyse ce phénomène, comme pour tout phénomène, il faut également tenir compte de la manipulation et de la contre-manipulation qui en est faite et déterminer qu'est-ce qui favorise le peuple et son mouvement politique.

Dans ce cas, la manipulation et la contre-manipulation dans le débat à savoir si les médias sociaux sont « bons » ou « mauvais » détournent l'attention du besoin pressant que les travailleurs, les femmes et les jeunes bâtissent leurs propres organisations et médias pour s'informer entre eux et donner une voix à leur politique indépendante.

La classe ouvrière est confrontée à ce défi depuis le XIXe siècle, quand elle a commencé à s'organiser en tant que classe en soi et pour soi, séparément des partis politiques de la bourgeoisie.

Le besoin s'est fait sentir davantage avec l'arrivée des grands monopoles médiatiques durant la période du capitalisme monopoliste et encore plus avec la domination du secteur des médias sociaux par la puissance concentrée d'une poignée de plateformes qui valent des milliards de dollars.

Le 26 août, le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) célébrait le 46e anniversaire de la presse du Parti et le 1er septembre le 36e anniversaire de la presse de masse du Parti et la presse de masse sans parti. La presse du Parti et la presse sans parti sont des ingrédients indispensables dans le renforcement du mouvement émancipateur de la classe ouvrière et des armes puissantes pour s'organiser à la défense de ses propres intérêts.

Le renforcement et la consolidation des deux formes de presse sont une composante du travail que le PCC(M-L) a entrepris au cours de cette période de repli de la révolution durant laquelle la classe ouvrière est engagée dans une épreuve de force avec la bourgeoisie, avec le Parti à sa disposition.

Le PCC(M-L) a accordé une attention prioritaire au cours des dernières années à la consolidation de la presse de masse du Parti en développant des groupes de rédacteurs et de diffuseurs. Partout au pays cette presse se fait connaître par sa capacité à fournir à la classe ouvrière l'information et l'analyse dont elle a besoin en tant que force combattante et à accorder une place d'honneur aux mouvements du peuple.

La presse de masse sans parti a également traversé une période de transformation, ce qui lui a permis d'augmenter son lectorat et à surmonter la marginalisation de la classe ouvrière et des sections vulnérables du peuple.


Exposition des publications de la presse du Parti et de la presse de masse du Parti au Centre ouvrier à l'occasion du 44e anniversaire de la presse du Parti

En ce moment le PCC(M-L) met en place des arrangements devenus nécessaires pour consolider ces victoires et porter une attention particulière aux problèmes posés par les médias sociaux et le développement du nouveau journalisme dans les conditions actuelles.

Devant une situation caractérisée par l'accélération des préparatifs de guerre et des perturbations de plus en plus agressives qui ciblent les mouvements politiques, il est nécessaire non seulement de combattre la désinformation, de manière professionnelle et systématique, mais surtout d'aider tous et chacun à voir comment aborder la situation dans la perspective de résoudre les problèmes auxquels sont confrontés le mouvement et la classe.

À cet égard, peu importe le moyen de transmission utilisé par la presse de masse du Parti et la presse sans parti, elles ont un avantage décisif sur la presse bourgeoise parce qu'elles sont tournées vers l'avant, parce qu'elles s'affairent à ouvrir la voie au progrès de la société. Pour cette raison, cette presse a un avenir tout comme la classe ouvrière a un avenir, et tout comme son avant-garde a un avenir.

Cette réalité est la base quand on discute des médiaux sociaux et de l'ensemble de la problématique. Si l'utilisation des médias sociaux par les partis des riches pour obtenir un avantage électoral et par l'impérialisme américain pour subvertir des États souverains est bien documentée, elle l'est moins en ce qui concerne l'ingérence directe des organismes de l'État dans les mouvements politiques progressistes et anti-impérialistes.

Il est nécessaire d'examiner tous les trois aspects et d'appeler le peuple à s'opposer à ces activités contre-révolutionnaires en tant que force organisée. Il s'agit surtout de trouver les moyens d'utiliser les médias sociaux pour informer et unir les forces populaires dans l'action.

La « participation électorale » et la « diplomatie numérique »

Dans ce qu'on appelle les « démocraties avancées » les médias sociaux sont censés « [étendre] la communication politique et électorale, [élargir] les possibilités de l'engagement démocratique, [modifier] le confinement et les hiérarchies politiques traditionnels, et [rendre] la démocratie plus accessible. »[1]

La Brookings Institution, un centre de réflexion de l'impérialisme américain, met en lumière les « avantages directs à utiliser les médias sociaux pour améliorer l'engagement électoral et revigorer la démocratie américaine. Par exemple, les médias sociaux ont permis d'accroître la réponse du public et l'imputabilité des deux partis. »[2]

Les principaux exemples de l'amélioration de l'« engagement électoral » et de l'accessibilité de la démocratie par les médias sociaux sont l'élection en 2008 de Barack Obama aux États-Unis, celle d'Angela Merkel en Allemagne, en 2009, et plus récemment l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Justin Trudeau au Canada.

On dit que la manipulation des médias sociaux durant les campagnes électorales permet non seulement de gagner du temps et de l'argent mais aussi de recueillir des renseignements privés sur le segment le plus large possible de la population pour les intégrer aux bases de données des partis, afin de mieux les cibler.

Dans un communiqué de juin 2016, Élections Canada publie des données sur les dépenses des partis politiques à l'élection fédérale du 19 octobre 2015. Parmi les partis de cartel, le Parti libéral aurait dépensé 43 millions $, le Parti conservateur près de 42 millions $ et le NPD environ 30 millions $. Mais pour ce qui est des médias sociaux, les libéraux ont dépensé beaucoup plus que les autres, soit près de 9 millions $, comparativement à moins de 2 millions $ pour les conservateurs.

Les organisateurs de la campagne libérale ont acheté de l'espace publicitaire permanent sur la première page de Twitter, parrainant le mot-clic #elxn42 (en référence à la 42e élection générale), ce qui en a fait un élément permanent du site accompagné du nom du chef. En d'autres termes, les organisateurs de la campagne de Trudeau ont payé pour une marque commerciale sur Twitter afin que son nom soit associé à l'élection.

Un journal a noté : « Les utilisateurs qui cliquent sur le sujet des tendances dans la section Tendances au Canada ou qui le recherchent grâce à la barre de recherche Twitter voient apparaître un tweet qui promeut Justin Trudeau et qui met en évidence un vidéo commercial de 15 secondes. »

Tom Pitfield, le stratège de Trudeau en matière d'information numérique et maintenant président du groupe-conseil néolibéral Canada 2020, écrit : « L'information numérique avait le plus grand retour sur investissement... Nous en avons fait un avantage stratégique. »

Le conseiller principal de Justin Trudeau, Gerald Butts, a dit aux médias : « L'astuce est de parler aux gens d'une manière qui les amène à vous dire ce qu'ils pensent vraiment pour ensuite disposer d'informations fiables sur lesquelles baser votre plan de campagne. » En d'autres termes, comment obtenez-vous le plus de renseignements personnels possibles au sujet des gens qui peuvent être réutilisés pour les manipuler en votre faveur.

La méthode peaufinée par Obama, Merkel et Trudeau est de donner l'impression que le chef communique directement avec les gens ou même que cette communication est bidirectionnelle.

Dans le cas des libéraux, la fonction de collecte de données des médias sociaux a été simplifiée par la constitution du parti qui permet maintenant de « joindre » le parti en remplissant des cases sur le site Web du Parti libéral.

La catégorie « membre » a été abolie et quiconque s'inscrit sur le site est ajouté à la base de données du parti. L'information est ensuite recoupée avec la liste fédérale des électeurs et ainsi la personne est prête à être mobilisée dans l'armée libérale. Ce que le Parti libéral appelle la structure « pyramidale » ou « hiérarchique » a été remplacée par ce qui est censé être une relation directe avec le chef.

La manipulation « de la gauche » est que « la communauté numérique et les relations sociales émergentes » sur les plateformes de médias sociaux sont caractérisées comme étant « décentralisées, démocratiques, hétérogènes, fluides, ouvertes et informelles, et à bien des égards autonomes. En particulier, la facilité avec laquelle les individus peuvent générer et partager du contenu via les médias sociaux est considérée par certains comme une indication d'une société plus démocratique et égalitaire.

« Les sites et les services de réseautage social fournissent de 'sphères publiques radicales' qui constituent de nouveaux forums pour le développement et l'expression de la citoyenneté politique, des forums qui sont moins sujets à un contrôle par les élites. »[3]

Les porte-paroles de l'élite dirigeante impérialiste disent la même chose sur le rôle des médias sociaux dans les pays considérés comme des ennemis des États-Unis et des sociétés non-libres.

Dans « les démocraties représentatives », on dit que le triomphe des médias sociaux est que les citoyens ont une plus grande capacité à interagir avec leurs gouvernements et que les partis politiques des riches peuvent mieux mobiliser les gens contre leurs propres intérêts. Les médias sociaux servent à donner une plus grande apparence de légitimité aux gouvernements des riches.

Toutefois, dans les pays considérés comme des « ennemis », des « États voyous », qui « violent les droits de l'homme » et ainsi de suite, les médias sociaux servent à aider les gens à s'opposer à l'État, à renverser les gouvernements et même à collaborer directement avec les puissances impérialistes pour coordonner la remise en cause des autorités.

Dans le langage néolibéral, on dit que cela conduit à « une citoyenneté plus active, critique et politisée, où les citoyens ne sont plus des récepteurs passifs des médias contrôlés par l'État ».

Loin d'être des activités issues des peuples, elles sont organisées au plus haut niveau de l'État impérialiste américain. Par exemple, la National Endowment for Democracy, une façade « à but non lucratif privée » de la CIA fondée par Ronald Reagan pour parrainer les groupes pro-américains dans le monde, dirige un centre pour prêter main-forte aux médias à l'échelle internationale appelée « Center for International Media Assistance » (CIMA).

Le CIMA « travaille à appuyer les efforts des journalistes et des médias indépendants et leur efficacité dans les pays en développement » et « estime que l'indépendance des médias est essentielle dans le monde d'aujourd'hui ». Le CIMA déclare que « les médias sociaux ont changé la façon dont les journalistes traditionnels recueillent de l'information et ont habilité les individus à se joindre à la conversation. C'est particulièrement redoutable dans les pays en développement qui cherchent à obtenir la vérité et promouvoir la justice. »[4]

Le « US Institute of Peace » qui, malgré son nom, est un bras du gouvernement américain créé en même temps que la NED et entièrement financé par le Congrès, a conclu dans une récente étude que « Twitter, Facebook et YouTube ont joué un rôle majeur durant les épisodes de contestation politique en tant qu'outils pour les activistes qui veulent remplacer des régimes autoritaires et promouvoir la liberté et la démocratie ».[5] Ces techniques ont été formalisées dans une pratique appelée « diplomatie numérique », une trait saillant de la doctrine Obama également appelée la « diplomatie directe » et la « diplomatie publique ». En « diplomatie numérique », le département d'État américain et l'OTAN traitent directement avec les citoyens de différents pays et avec les ONG pour faire leur sale travail et contourner complètement les gouvernements souverains. En d'autres termes, c'est une forme de guerre cybernétique.

Les « avantages » de la « diplomatie numérique » sont censés être, d'abord, « une manière relativement rentable de développer des liens avec le public à l'étranger [...] Deuxièmement, la diplomatie numérique permet au personnel diplomatique d'accroître son influence. [...] la diplomatie numérique est généralement considérée comme une forme de diplomatie publique pour faire participer le public à l'étranger, plutôt que simplement les élites politiques au sein d'un pays. Enfin, la diplomatie numérique permet au personnel diplomatique de mieux suivre l'opinion publique sur un gouvernement étranger, les dirigeants politiques et les énoncés de politique, de manière similaire aux entreprises qui utilisent les médias sociaux pour rester à l'écoute de l'opinion publique. »[6]

La diplomatie numérique est également le prolongement au sein des services extérieurs et des affaires internationales de la participation directe au sein des gouvernements des intérêts privés privilégiés tels que Google, Twitter et Facebook.

En juin 2013, le chercheur universitaire et conseiller pour l'OTAN Roland Paris, qui a été conseiller en chef en politique étrangère pour Justin Trudeau lors des six premiers mois de son gouvernement, a discuté « de comment le Canada s'est retrouvé bon dernier derrière ses alliés les plus proches dans l'utilisation des outils de médias sociaux. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont reconnu l'importance de la diplomatie numérique il y a des années de cela, en encourageant leurs ambassadeurs et missions diplomatiques à collaborer directement par le biais des médias sociaux avec le public et les dirigeants politiques des autres pays », a-t-il dit.

En février 2014, John Baird, à l'époque ministre des Affaires étrangères du Canada, a visité le siège de Google et Twitter dans Silicon Valley, en Californie, et a pu planifier comment « la diplomatie numérique » sera ajoutée à l'arsenal du gouvernement canadien contre les pays ciblés.

Baird a déclaré : « Grâce aux médias sociaux et aux connaissances soutirées par l'analyse des métadonnées, nous pouvons nous engager dans la diplomatie directe, non seulement la diplomatie élitiste. Les exercices de mise en correspondance des médias sociaux aux Affaires étrangères, du Commerce et du Développement Canada nous ont aidés à rejoindre des acteurs civiques qui cherchent à amener un changement social et politique positif dans les pays où ils vivent. »

La République islamique d'Iran a été une cible principale de la « diplomatie numérique » du Canada sous le gouvernement Harper dans son projet avec l'École Munck de l'Université de Toronto appelé « Dialogue mondial sur l'avenir de l'Iran ».

Durant la guerre en 2011 contre la Libye, les agents de l'OTAN sur le terrain ont même utilisé Twitter et Facebook pour fournir des coordonnées pour les campagnes de bombardements qui ont dévasté le pays.

Le ministère des Affaires étrangères du Canada, appelé Affaires mondiales Canada, maintient un représentant spécial auprès de l'opposition syrienne basée en Turquie dont l'une des tâches principales est la diplomatie numérique. Robin Wettlaufer occupe le poste depuis mars 2014.

Trek , la publication des diplômés de l'Université de la Colombie-Britannique, écrit que Wettlaufer « représente la prochaine génération d'agents du service extérieur et un nouveau type de diplomatie qui se concentre sur de nouveaux partenaires et de nouvelles approches. Wettlaufer a dit : ' Nous établissons des liens de nombreuses façons avec l'opposition, l'ensemble des partis opposés au régime el-Assad, y compris par le biais des médias sociaux. Notre objectif est d'étendre nos réseaux, de comprendre les différentes dynamiques, afin d'amplifier les voix de la démocratie ... ' »

Tactiques de perturbation de l'État contre les mouvements politiques et les pays souverains

Les concepts que nous venons d'aborder sont bien documentés. Par exemple, les trois volumes publiés sur le sujet par Encyclopedia of Social Media and Politics en 2014 comportent plusieurs essais sur le ces sujets. Or, les pratiques de perturbation de l'État par le moyen des médias sociaux ne sont pas abordées dans cette littérature et ont pourtant des répercussions aussi importantes, sinon plus.

Leur signification est davantage mise en relief par la nouvelle situation qui existe, soit un gouvernement libéral au pouvoir au Canada et une convergence de factions rivales de l'élite dominante des États-Unis pour faire élire Hillary Clinton comme présidente de guerre. Dans les deux cas l'objectif est de bloquer les mouvements de résistance des peuples, surtout la mobilisation politique à la défense des droits et contre la guerre et l'agression.

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau accélère l'offensive antisociale pour éliminer tous les arrangements étatiques qui empêchent de rendre les monopoles concurrentiels sur les marchés mondiaux et entraîner toujours plus le Canada dans les plans de domination mondiale des États-Unis.

Pour réussir il leur faut dépolitiser le corps politique pour que la résistance du peuple devienne inefficace.

Les groupes de réflexion qui conseillent le gouvernement américain ont mis au point différentes méthodes pour mener des campagnes de désinformation contre quiconque le gouvernement américain considère une menace.

Une de ces tactiques consiste à briser toute unité du peuple autour d'un principe ou d'un objectif et de semer le doute sur la conscience collective.

Un des théoriciens de cette méthode est Cass R. Sunstein, qui a été pendant plusieurs années le chef du bureau d'information de l'administration Obama. En 2008, alors qu'il était professeur à l'Université de Chicago, il a publié un essai dans lequel il conseille le gouvernement américain sur les méthodes pour saper et discréditer ses adversaires sur Internet en utilisant un concept appelé « diversité cognitive ».

La méthode vise ceux que Sunstein appelle « les théoriciens de la conspiration » mais elle s'applique également à « toute polarisation de groupe », c'est-à-dire à toute résistance ou conviction basée sur les principes. Sunstein soutient que « la polarisation de groupe » est irrationnelle mais « très probable parmi les personnes qui partagent un sens d'identité et qui sont liés par des liens de solidarité ».

Il écrit : « Il s'agit de circonstances dans lesquelles les arguments de gens de l'extérieur, qui ne sont pas liés au groupe, n'ont pas beaucoup de crédibilité et donc pas beaucoup d'effet à réduire la polarisation. »

Sa solution est de « suggérer une tactique distincte pour briser l'unité des extrémistes qui sont à l'origine des théories de la conspiration : l'infiltration cognitive des groupes extrémistes, où des agents du gouvernement ou leurs alliés (agissant soit virtuellement ou dans l'espace réel, ouvertement ou de façon anonyme) vont saper l'épistémologie infirmée de ceux qui souscrivent à ces théories ».

« Ils le font en semant des doutes sur les théories et les faits manipulés qui circulent dans ces groupes, introduisant ainsi une diversité cognitive avantageuse. » La « diversité cognitive » est une façon détournée de dire désinformation.

Sunstein va droit au but : « Nous proposons un rôle pour l'effort du gouvernement et ses agents dans l'introduction de cette diversité. Les agents du gouvernement (et leurs alliés) peuvent entrer dans les salles virtuelles de clavardage, sur des réseaux sociaux ou même dans des groupes dans l'espace réel et tenter de saper les théories de conspiration en herbe en soulevant des doutes au sujet des prémisses, de la logique ou des implications pour l'action politique. »[7]

Sunstein est également l'auteur d'un livre intitulé Nudge qui est basé sur la prémisse que « les êtres humains ne sont pas toujours capables de prendre des décisions qui sont dans leur intérêt » et doivent par conséquent être poussés ou incités par de petits encouragements des autorités à aller dans la bonne direction.

Certains documents fuités par Edward Snowden décrivent les méthodes de renseignement de façon plus détaillée en prenant l'exemple du Joint Threat Research Intelligence Group de Grande-Bretagne, une unité du bureau des communications, et du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (CSTC).

Ces méthodes sont empruntées à la police politique des États-Unis et sont partagées avec les autres pays du réseau des Cinq Yeux, soit le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le journal Intercept rapportait le 23 mars 2015 :

« Selon les documents de Snowden, le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada dispose de plusieurs ‘techniques de duperie' dans son coffre à outils. Cela comprend les opérations sous fausse identité pour créer de l'agitation et les opérations d'effet conçues pour altérer la perception de l'adversaire. Les opérations sous fausse identité sont habituellement des opérations par lesquelles l'impression est créée que l'action illégale a été menée par quelqu'un d'autre, c'est-à-dire ou bien un gouvernement étranger, ou bien un pirate informatique. Les opérations d'effet peuvent comprendre la propagation de fausses informations sur les médias sociaux ou la perturbation des services de communications. Les documents fuités ont également révélé que le Centre de sécurité dit pouvoir créer des ‘pots de miel' comme tactique de duperie. Il s'agit vraisemblablement de l'utilisation d'un appât pour attirer des cibles sur Internet pour pouvoir ensuite les pirater ou les surveiller.

« Le fait que le Centre de sécurité se serve de tactiques de duperie du genre laisse entendre qu'il agit dans l'ombre tout comme l'unité de surveillance britannique appelée JTRIG. L'année dernière, Intercept a publié des documents fuités par Snowden qui montrent que l'unité de renseignement britannique se sert d'opérations d'effet pour manipuler l'information en ligne, comme par exemple en truquant un sondage en ligne, en envoyant de faux messages sur Facebook dans plusieurs pays et en affichant des informations négatives sur les cibles pour endommager leur réputation. »[8]

Glenn Greenwald observe : « Deux tactiques figurent parmi les missions que s'est assignées le JTRIG : 1) propager de fausses informations sur Internet pour détruire la réputation des cibles et 2) utiliser les sciences sociales et d'autres techniques pour manipuler le discours et l'activisme sur Internet pour produire des résultats désirables. »[9]

Aujourd'hui ces méthodes sont évidentes dans les agissements des puissants intérêts privés alignés sur l'impérialisme américain qui dominent les médias sociaux. Cela comprend non seulement les différentes sections de l'oligarchie financière internationale qui dominent déjà les médias traditionnels et les nouvelles plateformes en ligne mais aussi la propagation ‘virale' de certaines informations par une manipulation avancée des utilisateurs pour cibler certains mouvements politiques et certains pays qui refusent de se laisser dominer.

De puissants intérêts privés

Il est bien connu que les réseaux en ligne ne sont pas moins saturés de publicité privée que les journaux, la télévision et l'espace public. Des individus sont ciblés grâce à la surveillance que font différentes entreprises privées et des médias sociaux de leurs habitudes de consommation, de leurs recherches Internet, de leurs conversations privées par courrier électronique ou par d'autres plateformes ou même par ce que ramasse le microphone de leur ordinateur quand il est ouvert.

Comme pour les médias traditionnels, il est possible de cibler plus précisément des individus par les canaux officiels et les médias sociaux monopolisés en utilisant des services payants offerts par des firmes de médias sociaux.

Twitter et Facebook valent maintenant 10 milliards $ et plus de 300 milliards $ respectivement.

Les impérialistes américains accordent beaucoup de valeur à Twitter et Facebook. Ils les ont aidés à grandir parce qu'ils s'en servent pour subvertir la résistance du peuple. Ces plateformes sont utilisées pour répandre des rumeurs et de la désinformation avec de petites phrases ou des groupes de mots ou d'images qu'il est pratiquement impossible de contester.

Ces plateformes encouragent aussi l'idolâtrie autour de personnalités dominantes de la culture impérialiste américaine pour attaquer le matériel de penser des peuples du monde et détruire l'opinion publique. Le commandant en chef des États-Unis Barack Obama se voit régulièrement accordé une place de choix sur Facebook et Twitter pour se faire valoir comme personnalité et ainsi saper l'opposition à la guerre impérialiste.

Étude de cas : le Venezuela et Buzzfeed

La Révolution bolivarienne du Venezuela et la ferme résistance du peuple vénézuélien à l'assaut impérialiste sont la cible d'activités de perturbation depuis l'élection de Hugo Chavez en 1998. Ces activités se sont intensifiées de pair avec la guerre économique que leur font l'impérialisme américain et l'oligarchie vénézuélienne. Il y a eu une série de tentatives de déstabilisation et de coups d'État contre-révolutionnaires.

Durant les tentatives de déstabilisation qui visaient à prépare les conditions pour un coup d'État et l'intervention étrangère en 2013 et 2014, des images ont été circulées par des forces obscures montrant d'horribles scènes de violence policière et d'émeutes. Les images étaient accompagnées de récits sans fondement dans lesquels on prétendait qu'il y avait un soulèvement populaire contre le gouvernement et que le gouvernement se livrait à une répression brutale.

Il s'est avéré par la suite que les images provenaient en réalité du Chili, d'Égypte, du Mexique et d'autres pays et lorsqu'elles sont devenues « virales » plusieurs médias ont été forcés d'émettre des rétractations. En 2014, 43 personnes ont perdu la vie dans des violences de rue organisées par les fores contre-révolutionnaires et beaucoup d'édifices publics ont été endommagés.

Or, maintenant les méthodes de perturbation sont beaucoup plus avancées mais les Vénézuéliens continuent de faire échec aux tentatives de saboter leur projet d'édification nationale anti-impérialiste. Mis à part le barrage constant de faussetés à propos du Venezuela dans les médias monopolisés et en provenance des agences d'État comme Radio-Canada, les pires attaques proviennent des sites Web spécialisés dans la propagation « virale » de certains contenus sur les médias sociaux auxquels avec une apparence d'avant-garde et de centre-gauche.

Buzzfeed par exemple est « une entreprise d'actualités sociales et de divertissement » qui a innové des techniques de manipulation des lecteurs pour atteindre un certain nombre de « cliques » et de « partages » de contenus complètement banals et superficiels. Cela s'appelle l'« appât du clique ». En 2015 Buzzfeed a reçu un investissement de 200 millions $ de NBC Universel et on estime que le site vaut maintenant plus d'un milliard de dollars.

Le site s'aligne étroitement sur les positions du gouvernement américain. Une étude réalisée le 30 juin par la firme Fairness and Accuracy in Reporting montrait que 99 % de la couverture de l'administration Obama par Buzzfeed était positive, qu'une seule nouvelle sur cent contenait un reproche ou une critique de l'administration : un article dans lequel on reprochait au gouvernement américain de n'avoir pas atteint ses cibles en matière d'accueil de réfugiés syriens.

La majeure partie des revenus de l'entreprise provenait de sa filiale appelée Buzzfeed Creative, qui produit des annonces publicitaires qui ont l'apparence de nouvelles. Un analyste des réseaux sociaux dit que l'avenir de Buzzfeed « dépend de sa capacité à nous convaincre que cette publicité n'est pas de la publicité ». Plus spécifiquement, il dépend de sa capacité à convaincre les lecteurs que la désinformation est de l'actualité.

Le magazine Wired écrit : « S'il y a une science dans la stratégie de contenu de Buzzfeed, elle est basée sur la capacité de mesurer des comportements obsessifs. L'équipe de recherche se sert d'algorithmes pour prédire quelles nouvelles va se répandre comme une trainée de poudre. L'équipe d'infographie trace les habitudes des utilisateurs par des tests analytiques. »

Le contenu et les titres sont conçus sur la base de formules encourageant le maximum de cliques et de partages.

En 2014, Buzzfeed a lancé l'idée d'un « soulèvement » au Venezuela. Elle affirmait que les problèmes du Venezuela provenaient de la nationalisation de l'industrie du pétrole et de l'exclusion des monopoles étrangers géants.

Plus récemment, le site web a publié plusieurs articles de désinformation avec titres « appâts de clique » comme « Que savez-vous vraiment de ce qui se passe au Venezuela ? » ou « Le Venezuela a ouvert ses frontières et il y a eu une ruée de personnes mourant de faim ».

Buzzfeed fait depuis 2013 la promotion du Vénézuélien d'origine norvégienne Thor Halvorssen qui possède les « groupes de défense des droits humains » bidons que sont le Oslo Freedom Forum et la Human Rights Foundation.

Halvorssen est le fils de Thor Halvorssen Hellum, un informateur de la CIA qui a participé au financement de la contra au Nicaragua. Sa tante était directrice d'une pétrolière d'État trouvée coupable de financement du parti politique « Volonté populaire » au Venezuela.

Le parti Volonté populaire a été fondé par Leopoldo Lopez qui purge une peine de prison pour avoir incité à des affrontements violents et mortels durant les protestations incitées par les États-Unis contre le gouvernement vénézuélien en 2014. Lopez est également le premier cousin de Halvorssen et a fait partie de son « Forum liberté ».

Le journaliste américain Ken Silverstein écrit : « Une des prétendues spécialités de Halvorseen est d'introduire des faussetés sur les pages de Wikipedia et d'y faire de fausses corrections pour ternir les « adversaires » de ses clients.

Un correspondant de Buzzfeed s'est rendu à Oslo en 2013 pour rédiger un portrait flatteur de Halvorssen le présentant comme un « activiste des droits humains ». Il a été le sujet de plusieurs articles de Buzzfeed depuis et sa fondation pour « les droits humains » était en vedette dans une vidéo de Buzzfeed contre Cuba.

La vidéo de trois minutes intitulées « Que se passe-t-il au Venezuela » a été produite par la nouvelle fonction « Pero Like » de Buzzfeed, qui produit des contenus ciblant des utilisateurs anglophones ayant une origine latino-américaine. La vidéo a été publiée le 2 août et le 11 août elle avait été visitée 29 millions de fois.

On y voit un homme non identifié parlant anglais qui offre une performance faite pour épater les visiteurs. Il dit qu'il y a une crise au Venezuela parce que le gouvernement de ce pays « alimente la haine » depuis 18 ans.

Il parle du taux de criminalité et du salaire minimum et insinue à tort que les Vénézuéliens sont affamés. C'est complètement dénué de contexte. Votre mère, votre soeur, votre oncle, ils peuvent tous être tués n'importe quand, dit-il, et c'est à cause de la « haine » propagée par le gouvernement.

« Ils » ont demandé de l'argent, alors sa famille a livré l'argent, mais « ils » l'ont quand même tué, dit-il. Il raconte ensuite une histoire à propos de sa mère qui a été tenue à la pointe d'un fusil lors d'un cambriolage. Il dit qu'en 2008 le Venezuela a été déclaré le pays le plus heureux du monde « malgré la situation ».

En conclusion il dit : « Je crois que la chose la plus importante que nous puissions faire est de sensibiliser les gens. Que le monde sache ce qui se passe « parce que si tout le monde le sait, nous pourrons faire une différence ». Autrement dit, partager, partager, partager et créer le prétexte que « quelque chose doit être fait » au Venezuela.

L'homme dans la vidéo est Alejandro Toro, un acteur professionnel et un participant aux émissions de téléréalité né à Miami, en Floride, qui a passé la majeure partie de sa vie au Venezuela. Il est censé présenter la situation telle que vue de l'intérieur, en tant que Vénézuélien, mais les auteurs de la vidéo n'ont pas cru bon l'identifier.

Bien que la désinformation ne dise précisément rien au sujet de « ce qui se passe au Venezuela », on cherche néanmoins à détruire l'admiration que le Venezuela s'est gagnée aux yeux des peuples du monde, pour sa Révolution bolivarienne et pour la mémoire de Hugo Chavez. C'est précisément pour semer le doute à la Cass Sunstein, pour bloquer le mouvement à la défense de la souveraineté du Venezuela et contre la désinformation.

Conclusions

Les techniques décrites ici sont toutes des exemples de l'utilisation des médias sociaux par de puissants intérêts privés pour diviser le peuple et saper ses mouvements politiques. Nous croyons qu'il est devenu urgent de trouver comment les médias sociaux peuvent être utilisés pour informer et unir les forces du peuple.

Cela nécessite des organisations qui entreprennent consciemment de le faire et qui basent leur travail sur la mobilisation idéologique et politique maximale. Cela veut dire professionnaliser le travail que nous faisons pour unir tous celles et ceux qui reconnaissent l'urgence d'agir. Une des tâches premières serait de produire un contenu audiovisuel de la presse de masse du Parti et de la presse sans parti pour répondre aux besoins d'aujourd'hui.

Nous croyons qu'il est temps que les filles et les fils de la classe ouvrière s'avancent pour bâtir les institutions dont le peuple a besoin pour élever son niveau idéologique et politique et s'unir dans l'action. À l'occasion de l'anniversaire de la création de la presse de masse du Parti et de la presse de masse sans parti, le PCC(M-L) s'est donné un plan pour renforcer la base technique du Parti telle que solidement ancrée sur son actif le plus précieux, le facteur humain/conscience sociale. En mobilisant son actif matériel, la classe ouvrière et les masses du peuple, et son actif spirituel, la pensée marxiste-léniniste contemporaine comme guide à l'action, il est sûr de réussir.

Notes

1. Kerric Harvey, Encyclopedia of Social Media and Politics, SAGE Publications, 2014. Vol. 1, p 6

2. Ibid, p 183

3. Ibid, p 190

4. Ibid, p 249

5. Ibid, p 308

6. Ibid, p. 391

7. Cass R. Sunstein et Adrian Vermeule, Conspiracy Theories, 5 janvier 2008

8. Ryan Gallagher, « Documents Reveal Canada's Secret Hacking Tactiques », The Intercept, 23 mars 2015

 9. Gleen Greenwald, « How Covert Agents Infiltrate the Internet to Manipulate, Deceive, and Destroy Reputations », The Intercept, 24 février 2014

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