Le
Parti conservateur est accusé d'infractions à la loi
électorale
Les lois et règles sur le financement
électoral dans l'impasse
- Anna Di Carlo -
La Loi sur la responsabilité:
«
Outrepassez les règles, vous
serez punis ;
transgressez la loi, vous
serez accusés ;
abusez de la confiance du public, vous irez
en prison. »
-
Stephen
Harper,
2006
Le régime de financement électoral et ses
règles d'application sont en crise. Le Parti conservateur est
accusé d'avoir commis des infractions à la Loi
électorale
du Canada lors de la 39e élection générale
à l'issue de laquelle il a défait le Parti libéral
de Paul Martin, dans une grande mesure grâce au scandale des
commandites
qui a exposé la corruption libérale. Les accusations, qui
portent sur des irrégularités dans le financement de la
campagne des conservateurs durant cette élection, ont
été portées
par le bureau de Brian J. Saunder, directeur des poursuites
pénales, un poste créé par les conservateurs avec
leur Loi sur la responsabilité de 2006.
Durant la campagne électorale de 2006, les
conservateurs ont exploité le scandale des commandites pour se
faire passer pour les champions de la lutte à la corruption
et ainsi avancer les politiques de « loi et
ordre » qu'ils ont à leur programme. Interrogé
sur le pourquoi d'un bureau des poursuites pénales, Stephen
Harper avait
répondu que cela permettrait d'éliminer tout
soupçon d'ingérence politique dans le domaine juridique
en ce qui concerne les infractions et les poursuites contre les
élus. Il
avait dit aux journalistes : « Il va y avoir un nouveau
code sur la colline parlementaire. Outrepassez les règles, vous
serez punis ; transgressez la loi, vous
serez accusés ; abusez de la confiance du public, vous irez
en prison. » Maintenant que les conservateurs sont
eux-mêmes accusés d'infractions, après quatre
années d'enquête, d'abord par le bureau du Commissaire aux
élections fédérales (deux ans) puis par le Service
des poursuites pénales (deux autres années), M. Harper a
dit
vendredi dernier qu'il s'agissait d'une simple affaire de
« comptabilité ».
Cette réponse cadre parfaitement dans la campagne
de dénigrement que mènent les conservateurs contre les
organismes publics chargés d'arbitrer et d'administrer la loi
fédérale, du Bureau du directeur général
des élections au Service des poursuites pénales, en
passant par le commissaire aux élections
fédérales. Selon le premier ministre,
ces instances qui enquêtent l'affaire depuis quatre ans seraient
incapables de faire une distinction entre une erreur de
comptabilité et une infraction pouvant entraîner des
poursuites. En plus du mépris des institutions contenu dans
cette insinuation, il faut savoir qu'il y a comptabilité et
« comptabilité », comme à la Enron.
Loin d'avoir éliminé l'ingérence
politique dans la poursuite pour infractions à la loi, les
conservateurs sont passés maîtres dans l'orchestration de
campagnes politiques
pour brouiller les cartes quand les choses deviennent claires. Ils ont
commencé par remettre en cause l'impartialité du
directeur général des élections avec des
insinuations
concernant ses motifs. Ils ont laissé entendre par exemple
qu'Élections Canada cherchait à dicter le contenu de
leurs publicités électorales alors qu'en
réalité le contenu des
publicités en question n'a jamais été
soulevé. Ils ont ensuite dit que les libéraux, le NPD et
le Bloc transfèrent eux aussi des fonds à leurs candidats
mais n'ont pourtant jamais
fait l'objet d'une enquête. C'était une tentative
évidente de brouiller les cartes puisque l'allégation
d'Élections Canada était que le Parti conservateur avait
non seulement
transféré des fonds à des candidats, ce qui n'est
pas illégal, mais qu'il l'avait fait pour contourner la limite
sur les dépenses électorales, ce qui est illégal.
Mais tout cela n'est pas le fond de l'affaire. Quelle
que soit la conclusion des poursuites contre le Parti conservateur,
c'est tout le régime de financement électoral et
surtout la prétention qu'il a été
perfectionné pour assurer l'« égalité
des chances » qui est encore exposé. Les limites sur
les dépenses électorales ne s'appliquent
que durant les périodes de campagne ; elles ne s'appliquent
pas à la publicité hors campagne, comme celle que l'on
voit en ce moment. Le plafond de 20
millions $ par parti et de 80 000 $ par candidat ne garantit
pas l'égalité des chances, il ne fait que
réglementer la concurrence entre les partis politiques des
riches.
Les partis à la Chambre des communes vivent de subventions
renouvelables à même les fonds publics et sont devenus des
appendices de l'État. Et surtout, toutes ces dépenses,
aussi contrôlées soient-elles, n'ont rien à voir
avec l'information de l'électorat. La prétention que le
système est « libre et équitable »
tient de moins en moins
et le système s'enfonce dans une crise de
crédibilité.
Si Élections Canada gagne la bataille devant les
tribunaux, les élections ne seront pas plus justes et
équitables qu'elles le sont présentement. La seule
différence sera que
les partis politiques des riches sauront maintenant comment faire pour
utiliser au maximum, en toute légalité, les limites sur
les des dépenses des partis et des candidats. La
comptabilité à la Enron va devenir la norme. Si le Parti
conservateur gagne, c'est Élections Canada en tant
qu'institution de réglementation des élections qui sera
affaiblie
et son organe de surveillance des élections, le Commissaire aux
élections fédérales, sera un autre appendice
dysfonctionnel du système de démocratie
représentative dominé
par les partis et rongé par la crise.
Le Directeur des poursuites publiques accuse les
conservateurs d'infractions à la loi électorale
Pour la première fois depuis l'adoption, en 1974,
du régime actuel sur les limites des dépenses
électorales des partis politiques et des candidats, un parti
politique –
le Parti conservateur du Canada – est accusé d'avoir
dépassé sa limite de dépenses et d'avoir soumis
des rapports de dépenses faux ou trompeurs à
Élections Canada. Quatre
accusations ont été déposées. La
première comparution est prévue pour le 18 mars
devant la Cour provinciale de l'Ontario à Ottawa (voir les
accusations ci-
dessous). Les accusations peuvent entraîner une
pénalité maximale de 2 000 $ et/ou une peine de
prison pouvant aller jusqu'à un an pour les individus,
et une amende maximale de 25 000 $ pour le parti.
Les violations alléguées concernent
environ 1,3 millions $ dépensés en annonces
à la radio et à la télévision par
67 candidats conservateurs pendant
la 39e Élection générale du 23 janvier 2006.
Les fonds pour payer les annonces ont été fournis par le
Fonds conservateur Canada (l'agent principal du Parti
conservateur). Cela s'est fait par un transfert d'argent du Fonds
conservateur du Canada vers les comptes bancaires de 67 candidats
conservateurs. Le Fonds conservateur
a ensuite facturé chacun des 67 candidats pour leur
contribution à une campagne médiatique régionale
achetée par le bureau national et les candidats ont
renvoyé l'argent
qui leur avait été transféré au Fonds
conservateur pour payer leur part.
Aucune de ces actions n'est une infraction de la Loi
électorale
du
Canada. Les transferts entre le parti et les
candidats sont autorisés. Un parti peut acheter
des biens et facturer à des candidats leur part de ces biens. Le
contenu des publicités n'est pas en cause non plus. Un candidat
peut faire passer des annonces avec le contenu
de son choix, pourvu que son agent officiel l'approuve et signe.
L'objet des infractions alléguées est que le Parti
conservateur du Canada a manigancé l'achat dans les
médias
et le transfert de fonds de façon à contourner la limite
sur les dépenses du Parti en attribuant ses propres
dépenses aux candidats.
Élections Canada a commencé à
soupçonner quelque chose au sujet de l'achat dans les
médias régionaux lors d'une vérification de
routine des relevés d'un des candidats
conservateurs à la fin de 2006. Les relevés de dix-sept
candidats conservateurs avaient été
vérifiés sans problème lorsqu'un
vérificateur a appelé l'agent officiel d'un autre
candidat conservateur pour poser des questions au sujet de l'achat dans
les médias. L'agent officiel semblait savoir peu de choses sur
les détails de cet achat et a supposé
que parce que le parti national avait atteint sa limite de
dépenses électorales, les candidats donnaient un coup de
main en donnant une « contribution », une partie
de la limite de dépenses électorales du candidat au parti
national, ce qui était illégal.
Cette information a poussé Élections
Canada à enquêter de plus près sur les
dépenses et les rapports de toute l'affaire de l'achat dans les
médias. Du 29 novembre
2006 au 12 janvier 2007, le Directeur général
des élections à l'époque, Jean-Pierre Kingsley, a
envoyé des lettres aux candidats conservateurs concernés,
pour
demander plus de documentation afin de vérifier les
dépenses, et pour faire savoir aux candidats que le
remboursement de leurs dépenses ne pourrait pas se faire sans
que
des documents satisfaisants ne soient fournis. Kingsley a
démissionné le 28 décembre 2006, sa
démission entrant en vigueur en avril 2007, et a
été remplacé par Marc
Mayrand, qui a poursuivi l'enquête sur les allégations
d'actes illicites.
En 2006-2007, plusieurs échanges écrits et
en personne ont eu lieu entre les représentants
d'Élections Canada, les agents officiels des candidats et des
représentants du
Parti conservateur, au cours desquels on n'a pas fourni à
Élections Canada de documents qui auraient dissipé la
conviction que l'achat dans les médias régionaux
était une
manoeuvre pour contourner les limites de dépenses
électorales du parti national.
Élections Canada a alors soumis l'affaire
à William Corbett, le Commissaire aux élections, qui a
lancé une enquête sur les infractions
alléguées. Dans le cadre de l'enquête,
des dossiers ont été obtenus de différents
organismes des médias et agences de publicité
impliqués dans l'achat dans les médias. Dans ces
dossiers, on retrouvait un échange
de courriels entre les employés d'une agence, où on
pouvait lire : « Reçu un appel de Irving
Gerstein. Deux questions : Ils dépensent peut-être
jusqu'à
leur limite légale sur cette campagne... Ils songent à
"transférer" une partie du temps d'antenne aux circonscriptions.
Il semble que la raison soit de profiter au maximum
de la limite légalement permise pour les dépenses de
publicités... Il manque plusieurs détails et je ne suis
pas comment des publicités à la télévision
nationale et régionale
peuvent être considérées comme des dépenses
de circonscription, à moins que toutes les circonscriptions
d'une région unissent leurs ressources... » D'autre
part, dans
le cadre de l'enquête, les 15 et 16 avril 2008,
l'adjoint de l'enquêteur en chef du Commissaire a obtenu et
exécuté un mandat de perquisition dans les bureaux
du Parti conservateur et du Fonds conservateur du Canada et saisi
22 boîtes de documents et plusieurs disques durs.
En cour
fédérale
Entre-temps, deux agents officiels de candidats qui ont
participé à l'achat de publicités dans les
médias régionaux et dont le remboursement
a été retenu ont porté l'affaire devant la Cour
fédérale du Canada. Ils ont fait valoir que le directeur
général des élections avait dépassé
les limites de ses compétences et
n'avait pas le droit de retenir un remboursement de dépenses
électorales. La cour a rendu son jugement le 18 janvier
2010. Elle a jugé que, sur la base de la preuve
disponible, il n'y avait pas lieu de conclure que les dépenses
n'ont pas été encourues par les candidats. Elle a conclu
que le Directeur général des élections n'avait pas
le
droit de retenir le remboursement des dépenses
électorales et devait plutôt renvoyer l'affaire au
Commissaire aux élections. Mais elle a aussi jugé que les
reçus émis aux
candidats par le Fonds conservateur du Canada étaient inexacts
parce qu'ils n'attribuaient pas aux candidats la dépense pour la
valeur commerciale de la publicité reçue (les
sommes indiquées sur les reçus semblent plutôt
liées à l'espace de limite de dépenses
alloué à chaque candidat). Le juge a conclu
qu'Élections Canada devait recalculer les
dépenses rapportées de chacun des candidats en cause en
tenant compte de la valeur commerciale réelle et émettre
les chèques de remboursement.
Élections Canada a porté ce jugement en
appel et demandé un sursis parce que l'ordre du juge avait des
répercussions importantes. Élections Canada avait refait
ses calculs
et trouvé qu'environ 10 candidats conservateurs auraient
dépassé la limite autorisée, dont quatre
députés, dont trois ministres. Dans sa demande de sursis,
Élections Canada
écrit : « Ces 9 ou 10 candidats pourraient
faire l'objet de poursuites et devoir subir des conséquences
importantes s'ils sont trouvés coupables. Plus
particulièrement, trois d'entre eux pourraient perdre leur poste
de ministre. Outre la conviction, cette possibilité pourrait
jeter le doute sur la légitimité de l'élection des
quatre
candidats qui sont présentement députés au
parlement. » (Maxime Bernier – Beauce ; Lawrence Cannon
– Pontiac ; Christian Paradis
– Mégantic-L'Érable ; et Josée Verner –
Louis-Saint-Laurent). Les conservateurs ont contesté uniquement
la partie du jugement qui demande l'émission de nouveaux
reçus à la valeur commerciale. La Cour d'appel
fédéral a entendu la cause en novembre 2010 mais n'a pas
encore rendu son jugement.
Fred DeLory, porte-parole du Parti conservateur, a dit
qu'on aurait dû permettre à l'affaire au civil de suivre
son cours avant de porter des accusations. « Nous
sommes déçus qu'Élections Canada ait porté
des accusations après avoir perdu sa cause à la Cour
fédérale, sans attendre la décision sur
l'interjection en appel », a-t-il
dit. Il a qualifié les accusations de « mépris
total de la décision et du processus d'appel ». Le
premier ministre Stephen Harper a déclaré quant à
lui :
« Nous avons été devant les tribunaux à
plusieurs reprises pour cette affaire. Jusqu'à présent
les tribunaux ont jugé en notre faveur. Toutes ces personnes ont
agi
conformément aux règles en vigueur à
l'époque. »
Mais la Cour fédérale n'a pas
statué sur la légalité des dépenses, parce
qu'une enquête du Commissaire aux élections est en cours.
Le juge a dit : « Il y a
une distinction fondamentale à faire entre la
légalité et la légitimité. En ce qui
concerne la légalité ou l'illégalité des
gestes posés par le Parti conservateur ou le Fonds
conservateur durant la période électorale de 2006, il y a
une enquête du Commissaire qui se poursuit et il serait donc
prématuré que la cour commente ou porte un jugement
sur cette affaire.
« Quant à la légitimité
de l'achat de publicité régionale, il y a matière
à débat et c'est une affaire qu'il vaut mieux laisser au
commentaire et au débat publics à
l'extérieur des tribunaux. Le parlement a le pouvoir souverain
et l'autorité législative de régir les transferts
monétaires des partis enregistrés aux campagnes locales.
Le
parlement peut amender la loi pour corriger toute iniquité,
qu'elle soit réelle ou perçue comme telle aux yeux du
public. De plus, seul le Parti a l'autorité de conférer
des
pouvoirs d'enquête ou de supervision additionnels au
DGE. »
Les conservateurs refusent de rendre des comptes en
vertu des lois électorales du Canada
- Anna Di Carlo -
Maintenant que le Parti conservateur a
été accusé d'infractions à la Loi
électorale du Canada lors de l'élection
fédérale de
2006, le premier ministre Stephen Harper refuse d'admettre la
gravité des
accusations portées contre son parti et 67 candidats, dont
le ministre des
Affaires étrangères Lawrence Cannon. Affirmant que les
accusations
sont sans fondement, Harper a déclaré :
« Nous avons été à plusieurs reprises
devant les tribunaux à ce sujet. Les tribunaux,
à ce stade, ont tranché en notre faveur. Toutes ces
personnes ont agi selon les règles qui étaient en place
à l'époque. »
Cela ne peut qu'induire en erreur car, en fait, aucun
tribunal n'a encore entendu les accusations contre les conservateurs.
Ces
accusations allèguent que le parti et certains de ses
fonctionnaires ont délibérément violé les
limites des dépenses électorales aux
élections de 2006 et présenté à
Élections Canada de fausses et/ou trompeuses déclarations
de dépenses électorales. La première
audience aura lieu le 18 mars à Ottawa.
C'est la démagogie de ceux qui n'ont aucun
intérêt à faire connaître la
vérité.
Quand il dit « les tribunaux ... ont tranché en notre
faveur », il devrait dire clairement qu'il parle d'un
procès qui a été
intenté en mai 2007 par les conservateurs devant la Cour
fédérale du Canada contre le Directeur
général des élections du Canada.
Les conservateurs ont contesté l'autorité du Directeur
général des élections du Canada (DGEC) de refuser
d'autoriser le remboursement
des dépenses électorales aux candidats dans une situation
où le DGEC n'est pas convaincu que les dépenses ont
été réellement engagées
par les candidats. En particulier, les conservateurs veulent que la
Cour fédérale ordonne au DGEC de rembourser des
dépenses
électorales qu'il a refusé de verser aux conservateurs.
Mais même les décisions de ce tribunal ne
sont pas utiles à Harper puisqu'à peine quelques heures
après s'être vanté qu’« à ce
stade, les tribunaux ont tranché en
notre faveur », la Cour fédérale d'appel a
statué en faveur du DGEC. Aucune de ces
décisions a une incidence sur la façon dont les tribunaux
de l'Ontario se prononceront sur la violation alléguée de
la Loi électorale
du Canada par les conservateurs mais cela n'a pas
empêché
les conservateurs de tenter de tromper le public. Parlant comme un
véritable exécutif d'Enron ou un Bernie Madoff ou Brian
Mulroney après avoir été pris la main dans le sac,
le porte-parole du Parti
conservateur, Fred DeLorey, a réagi à la décision
en disant que l'affaire ne concerne que de petits désaccords sur
les méthodes
comptables.
« Il s'agit d'un différend
administratif avec Élections Canada qui a cours depuis cinq ans.
Il s'agit de savoir si
certaines dépenses doivent être considérées
comme locales ou nationales », a-t-il dit. « Nous
avons une divergence d'opinion à
ce sujet et nous maintenons que nos gens ont agi selon la loi, tel
qu'ils la comprenaient à ce moment-là »,
a-t-il dit. Une fois
qu' « il est devenu évident qu'Élections
Canada a modifié son interprétation de la loi, le Parti
conservateur a ajusté ses
pratiques pour la campagne électorale de 2008 »,
a-t-il ajouté.
La réponse des conservateurs aux accusations
portées contre eux montre comment ils agissent de façon
intéressée et comment ils
se rabaissent sciemment à des pratiques de corruption pour
s'accrocher au pouvoir. Leurs tentatives de
minimiser l'importance des infractions à la loi
électorale et le mépris des institutions responsables de
sa mise en oeuvre montrent à quel point dépourvues de
grands
idéaux sont devenues les
institutions dites démocratiques et comment
est sans fondement la prétention que les
élections sont la
preuve de la supériorité de ces institutions car elles
les doteraient de
« légitimité ». Prétendre
représenter « la loi et l'ordre » pour
ensuite refuser de se soumettre aux lois qu'ils ont eux-mêmes
adoptées et refuser de
reconnaître l'autorité des arbitres que le système
a lui-même mis en place pour tenir les fonctionnaires
responsables est du
hooliganisme pur et simple.
Les conservateurs ont annoncé qu'ils vont
contester la décision de la Cour fédérale d'appel
devant la Cour suprême du Canada.
S'ils doivent gaspiller les fonds du trésor
public nécessaires aux poursuites intentées contre eux,
espérons du moins
que c’est avec les fonds du Parti conservateur qu’ils s’acquitteront de
leurs propres frais juridiques.
La plus récente
décision de la Cour
fédérale
Dans le premier jugement de la Cour
fédérale, le 18 janvier 2010, le
juge n'a pas été convaincu de la preuve
présentée à propos des circonstances
entourant la décision du DGEC, ni de son
interprétation de la Loi
électorale du Canada, que le
Directeur général des élections a le pouvoir de
retenir le remboursement. Il a
jugé que le DGEC a commis une erreur. Le 28 février
2011, un tribunal de trois juges de la Cour fédérale
d’appel a annulé la
décision antérieure. Ils ont soulevé les questions
suivantes :
« Question 1 : Le DGEC est-il
habilité à vérifier les dépenses
électorales des candidats ?
Question 2 : La documentation soumise au DGEC
était-elle suffisante pour que celui-ci puisse raisonnablement
refuser
d'affirmer qu'il avait la conviction que les intimés avaient
engagé une partie des frais relatifs aux APML
déclarés comme dépenses
électorales ? »
Leur jugement déclare :
« L'article 16 confie au DGEC
l'exercice des pouvoirs et fonctions « nécessaires
à l'application de la présente
loi ». À notre avis, la surveillance de l'exactitude
des demandes de remboursement des candidats à même les
deniers publics et la
vérification de l'observation du plafond des dépenses
électorales prévu par la Loi sont des fonctions
nécessaires à l'application de la
Loi et relèvent donc des responsabilités du DGEC.
À notre avis, l'examen du contexte législatif plus
général indique que le sens du
paragraphe 465(1) n'est pas celui que lui prêtent les
intimés.
«Nous concluons que le législateur n'a pas
voulu
restreindre le rôle du DGEC à la fonction avant tout
administrative consistant
à s'assurer que les candidats ont produit les documents
précisés dans la Loi et, après avoir acquis la
conviction que tel est le cas, à
remettre un certificat permettant au receveur général de
rembourser les dépenses électorales
déclarées. [...]
«Il serait surprenant que le législateur
ait eu
lintention d'obliger le DGEC à délivrer un certificat
permettant à un candidat
dobtenir un remboursement de dépenses électorales
à même les deniers publics dans des cas où le DGEC
n'est pas convaincu qu'une dépense
réclamée est permise par la Loi. Limiter les fonctions du
DGEC ainsi que les intimés invitent la Cour à le faire
n'est pas compatible
avec les pouvoirs et les responsabilités considérables du
poste énoncés à l'article 16. »
De plus , les juges déclarent qu'accepter
l'interprétation des Conservateurs sur l'autorité et les
pouvoirs du DGEC
« fragiliserait le respect des plafonds fixés par le
législateur en ce qui a trait au montant d'argent que les
candidats peuvent
dépenser pour leur élection et se faire rembourser
à même les deniers publics. De nombreux abus pourraient
aussi survenir, et
l'objectif de la Loi qui consiste à promouvoir une saine
démocratie en garantissant des conditions égales pour
tous en matière
électorale pourrait être compromis. »
Sur la question du caractère raisonnable de la
décision du DGEC, les juges de la Cour d'appel ont dû
décider « si le DGEC a
commis une erreur susceptible de contrôle lorsque, s'appuyant sur
la preuve documentaire dont il disposait, il a refusé d'affirmer
qu'il avait la conviction que les intimés avaient engagé
les frais relatifs aux APML qu'ils avaient déclarés
à titre de dépenses
électorales. Il importe de souligner que c'est le DGE, et non la
Cour, qui doit avoir cette conviction. »
Les juges ont examiné la partie de la preuve
dont disposait le DGEC au moment où il avait refusé
d'autoriser le remboursement
des dépenses. Par contre, cette preuve est beaucoup moins
étoffée que les éléments de preuve
disponibles après deux ans d'enquête par
le commissaire aux élections. Ils ont conclu que la preuve
« démontre largement le caractère raisonnable
du refus du DGEC
d'affirmer qu'il avait la conviction que les frais relatifs aux APML
avaient été engagés par les candidats en
conformité avec la Loi.
La question de savoir si la preuve aurait pu raisonnablement amener le
DGEC à conclure que les frais avaient été
dûment engagés par les
candidats n'est pas pertinente dans le cadre de la présente
demande de contrôle judiciaire relative à l'exercice du
pouvoir conféré au
DGEC [« au DGEC » est souligné dans le
texte] par le législateur. »
À titre d'information
Appel d'Élections Canada de la décision
clé de la Cour fédérale dans Campbell (Callaghan) et
autres c. Canada (directeur général des élections)
Nous reproduisons un document d'Élections Canada
sur la décision de la Cour fédérale concernant les
irrégularités dans le financement électoral du
Parti conservateur
et sur les raisons de l'interjection en appel de cette décision.
* * *
Le 18 janvier 2010, la Cour fédérale
du Canada a rendu sa décision clans Campbell (Callaghan) et
autres c. Canada (directeur général des
élections). Cette cause concerne des candidats ayant
participé à un programme d'achats publicitaires
régionaux lors de la 39` élection générale
de 2006.
La cour a infirmé la décision du directeur
général des élections qui avait refusé
d'émettre un certificat relatif au remboursement des
dépenses réclamé par les
deux requérants. Elle a déterminé que les
dépenses avaient bel et bien été engagées
par les requérants et a donc ordonné au directeur
général des élections de
délivrer un certificat permettant leur remboursement partiel,
même si certaines dépenses n'avaient pas été
déclarées conformément aux dispositions de la Loi
électorale du Canada.
En raison de l'importance de maintenir des plafonds de
dépenses distincts pour les partis politiques et les candidats,
et afin d'assurer une saine gestion des
fonds publics. le directeur général des élections,
Marc Mayrand, a décidé d'interjeter appel.
Parallèlement, le requérant Callaghan a
déposé un appel incident pour
contester la conclusion de la Cour fédérale quant
à la nécessité de déclarer les
dépenses électorales selon leur « valeur
commerciale ».
Cadre législatif
L'intention du Parlement, telle qu'exprimée dans
la Loi électorale du Canada, est de prévoir un
ensemble complet de règles qui visent à assurer
l'équité du système électoral en instaurant
une égalité des chances pour les candidats aux
élections. Un élément central de notre
système est l'établissement de
plafonds des dépenses électorales séparés
et distincts pour les partis politiques et les candidats. Même si
les entités politiques peuvent dépenser à leur
gré en
période non électorale, la Loi établit des
règles claires pour les dépenses des partis et
des candidats durant une élection. Ainsi, malgré les
capacités divergentes
des concurrents à accéder aux ressources pour augmenter
leurs chances de réussite aux élections, le montant due
chacun peut dépenser pour influencer le résultat
du vote est strictement contrôlé afin d'équilibrer
les forces en présence. Afin d'assurer un traitement similaire
de biens et de services semblables par différentes
campagnes, en respectant leurs propres plafonds de dépenses, la Loi
électorale du Canada exige que toute
dépense relative à un bien
ou à un service soit déclarée selon sa
« valeur
commerciale », suivant le sens que la Loi donne à
cette expression. Dans le cas d'un achat de groupe
visant des campagnes multiples, la portion des dépenses à
déclarer pour chacune ne peut être répartie
arbitrairement entre les candidats participants, car cela
compromettrait les plafonds de dépenses prescrits pour chacune
des campagnes.
Bien que la Loi offre aux partis et aux candidats une
certaine flexibilité en permettant le transfert de ressources,
tant monétaires que non monétaires (par
exemple, le parti peut fournir des fonds, des biens et des services aux
candidats qu'il présente), elle ne permet pas le transfert de
dépenses. De tels
« transferts » rendraient inopérante la
distinction entre les plafonds des dépenses des partis
politiques et des candidats ; cela permettrait aux partis
et aux candidats de bénéficier de dépenses qui
excèdent leurs plafonds respectifs. Actuellement, la formule
établie par la Loi prévoit un plafond de quelque 20
millions de
dollars pour les partis nationaux qui présentent un candidat
dans chaque circonscription. Le plafond des dépenses de chaque
candidat est séparé, et la moyenne canadienne
est d'environ 80 000 $.
Après une élection générale,
tous les partis politiques et tous les candidats doivent soumettre un
rapport faisant état des dépenses engagées selon
la « valeur
commerciale ». Par exemple, si un candidat a acheté
des affiches à moitié prix, il devra déclarer
100 % de la valeur des affiches à titre de dépenses
(mais seul
le montant payé peut être remboursé).
La Loi prévoit le remboursement de 50 % des
dépenses électorales d'un parti, et 60 % des
dépenses électorales d'un candidat. En vertu de la Loi,
le directeur
général des élections fournit un certificat au
receveur général du Canada autorisant le remboursement
des dépenses électorales permises, mais seulement
lorsqu'il est convaincu
que le candidat a déclaré ses dépenses
correctement. Entre autres, le directeur général des
élections doit être convaincu que les dépenses ont
été engagées par le candidat,
et que les dépenses déclarées reflètent la
« valeur commerciale ». Si le directeur
général des élections estime que les pièces
justificatives accompagnant le rapport
sont insuffisantes, il peut exiger du candidat qu'il fournisse des
renseignements supplémentaires.
Aperçu des faits
Lors de la 39e élection générale,
67 candidats du Parti conservateur du Canada ont participé
à un programme d'achats publicitaires régionaux,
organisé par le parti
soi-disant pour permettre aux candidats de participer à l'achat
de publicité nationale à la télévision et
à la radio, pour diffusion dans leur région. Lors de
l'examen des rapports
des candidats du Parti conservateur, des doutes ont été
soulevés quant à savoir si ces dépenses avaient
bien été engagées par les candidats participants.
Le directeur général
des élections a demandé à un certain nombre de
candidats de fournir des pièces justificatives
supplémentaires à l'appui des dépenses
déclarées.
Les pièces fournies n'ont pas permis de
convaincre le directeur général des élections que
ces dépenses avaient été engagées par les
candidats ou déclarées selon la
« valeur commerciale », puisque certains rapports
faisaient état de dépenses de publicité semblables
avec des montants variables. L'information disponible
suggérait plutôt que les montants déclarés
par les campagnes participantes avaient été
établis afin de refléter la marge de manoeuvre des
participants eu égard à leur plafond
de dépenses. Le directeur général des
élections a donc refusé de délivrer des
certificats pour remboursement.
En 2007, les agents officiels de deux candidats
participants ont déposé une demande de révision
judiciaire afin de contester le refus du directeur
général des élections
de certifier les dépenses déclarées. La cause a
été entendue en novembre 2009 et une décision
a été rendue le 18 janvier 2010.
Décision de la Cour fédérale
La cour a conclu que les deux requérants avaient
engagé les dépenses, et a ordonné au directeur
général des élections de délivrer un
certificat permettant leur
remboursement partiel, même si certaines dépenses
n'avaient pas été déclarées
conformément aux dispositions de la Loi. De fait, quoique la Loi
exige que les dépenses soient
déclarées selon la « valeur
commerciale » des biens ou des services utilisés par
la campagne, la Cour fédérale a trouvé que la
même dépense avait été
déclarée
à une valeur inférieure à sa valeur commerciale
par certaines campagnes, et à une valeur supérieure par
d'autres.
Dans sa décision, la cour a également
adopté une interprétation de l'expression
« dépenses électorales » qui
permettrait aux candidats d'engager des dépenses
servant directement à favoriser le parti politique ou
l'élection des autres candidats du parti. Elle permettrait
également au parti politique d'engager des dépenses afin
de
favoriser directement ses candidats.
Aperçu des enjeux
La décision soulève plusieurs enjeux
importants concernant l'intention du Parlement telle qu'exprimée
dans la Loi électorale du Canada et l'application
future de la Loi. Ces enjeux concernent notamment la
préservation des règles visant à établir un
équilibre entre les forces qui s'affrontent et la gestion des
fonds publics.
Équilibre des forces
À l'avenir, on permettrait aux
entités politiques d'engager des dépenses au nom d'autres
entités, ce qui estomperait l'existence de plafonds des
dépenses distincts
pour le parti et les candidats, et pour chacun des candidats. Par
exemple, les candidats des circonscriptions où la concurrence
est moins forte pourraient prêter leur marge
de dépenses en absorbant les dépenses des candidats des
circonscriptions où la concurrence est plus forte. Un autre
exemple serait le transfert possible de dépenses liées
à
la tournée nationale d'un chef de parti aux campagnes locales
des candidats, ce qui créerait une marge de dépense
supplémentaire pour le parti politique.
Engager des dépenses au nom d'autres
entités politiques non seulement minerait les règles
visant un équilibre des forces, principe fondamental de la Loi,
mais réduirait
également la transparence. En effet, il deviendrait difficile
pour les Canadiens, lors de leur examen des rapports des
différentes entités politiques, de savoir quelles sommes
ont été dépensées pour influencer le
résultat électoral dans une circonscription et lesquelles
ont été dépensées pour favoriser un parti
national.
Gestion des fonds publics
La décision de la cour suggère
que le directeur général des élections serait tenu
d'accepter les dépenses telles que déclarées et de
certifier leur remboursement
en deniers publics, sous réserve de la possibilité de
recouvrer le paiement à la suite d'une poursuite pénale.
Les entités politiques recevraient ainsi des fonds publics d'une
manière non conforme aux normes reconnues de responsabilisation
en matière d'administration et de versement des fonds publics.
La décision permettrait également à
un parti politique et à ses candidats d'organiser leurs
transactions financières de façon à obtenir un
remboursement en deniers publics
supérieur à ce qu'avait prévu le Parlement.
À titre d'exemple, un candidat qui, autrement, n'aurait pas
droit à un remboursement, pourrait demander à un autre
candidat
admissible d'engager des dépenses en son nom, et augmenter ainsi
le remboursement total, qui pourrait alors être versé au
parti.
Déclaration selon la valeur commerciale
La Cour fédérale a validé
la position du directeur général des élections,
suivant laquelle que les dépenses électorales
déclarées doivent correspondre à la
« valeur commerciale » des biens ou des services
utilisés et que, dans ce cas-ci, les campagnes qui ont fait
usage des mêmes biens et services devraient déclarer
des dépenses d'un montant égal. Le requérant
Callaghan porte en appel cet élément de la
décision.
Évolution du dossier
En raison des appels interjetés de part et
d'autre et de l'importance des enjeux, Élections Canada a
demandé la suspension de la décision jusqu'à ce
que la Cour d'appel
fédérale puisse trancher. La requête a
été accordée le 19 mai 2010. La cause a
été entendue à la Cour d'appel
fédérale les 23 et 24 novembre 2010.
Les accusations d'Élections Canada
Voici le texte des accusations que porte
Élections Canada contre le Parti conservateur, le Fonds
conservateur et leurs représentants.
* * *
1. Le Fonds conservateur du Canada
Douglas M. Finley
Irving Gerstein
Michael Donison et
Susan J. Kehoe :
Entre le 1er novembre 2005 et le
23 janvier 2006, dans la ville d'Ottawa. dans la province
d'Ontario, et ailleurs au Canada, ont volontairement fait
pour le compte du Parti conservateur du Canada des dépenses
électorales relativement à la 39e élection
générale fédérale dépassant le
plafond de
18 278 278.64 S fixé pour le Parti conservateur
du Canada, contrairement au paragraphe 423( 1 ) de la Loi
électorale du Canada,
commettant ainsi l'infraction punissable par voie de procédure
sommaire prévue aux alinéas 497(3)g) et 500(5)a) de cette
Loi.
2. Le Parti conservateur du Canada :
Entre le 1er novembre 2005 et le 23 janvier
2006, dans la ville d'Ottawa, dans la province d'Ontario, et ailleurs
au Canada, étant un parti
enregistré dont l'agent principal, le Fonds conservateur du
Canada, a volontairement fait des dépenses électorales
relativement à la 39e élection générale
fédérale
dépassant le plafond de 18 278 278,64 $
fixé pour le Parti conservateur du Canada, contrairement au
paragraphe 423(1) et à l'alinéa 497(3)g)
de la Loi électorale du Canada, a commis l'infraction
punissable par voie de procédure sommaire prévue à
l'article 507 de cette Loi.
3. Le Fonds conservateur du Canada et Irving
Gerstein :
Entre le 23 janvier 2006 et le
18 décembre 2006, dans la ville d'Ottawa, dans la province
d'Ontario, ont produit auprès du directeur général
des élections un compte des dépenses électorales
du Parti conservateur du Canada relativement à la 39e
élection générale fédérale, alors
qu'ils savaient ou auraient
dû normalement savoir que celui-ci contenait une
déclaration fausse ou trompeuse, soit une déclaration
à l'effet que toutes les dépenses électorales
relatives à
la 39e élection générale fédérale y
étaient dûment inscrites, contrairement à
l'alinéa 431a) de la Loi électorale du
Canada. commettant
ainsi l'infraction punissable par voie de procédure sommaire
prévue aux alinéas 497(3)m)(ii) et 500(5)a) de cette Loi.
4. Le Parti conservateur du Canada
Entré le 23 janvier 2006 et le
18 décembre 2006, dans la ville d'Ottawa, province de
l'Ontario, étant un parti enregistré dont l'agent
principal, le Fonds conservateur élu Canada, a produit
auprès du directeur général des élections
un compte de dépenses électorales relativement à
la 39e élection
générale fédérale alors que le Fonds
conservateur du Canada savait ou aurait dû normalement savoir que
ce compte contenait une déclaration fausse ou trompeuse,
soit une déclaration à l'effet que toutes les
dépenses électorales relatives à la 39e
élection générale fédérale
étaient dûment inscrites, contrairement aux alinéa
431a) et 497(3)m)(ii) de la Loi électorale du Canada, a
commis
l'infraction
punissable
par
voie de procédure sommaire
prévue à l'article
507 de cette Loi.
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