Le Parti conservateur est accusé d'infractions à la loi électorale

Les lois et règles sur le financement
électoral dans l'impasse

La Loi sur la responsabilité:
« Outrepassez les règles, vous serez punis ;
transgressez la loi, vous serez accusés ;
abusez de la confiance du public, vous irez en prison. »

- Stephen Harper, 2006

Le régime de financement électoral et ses règles d'application sont en crise. Le Parti conservateur est accusé d'avoir commis des infractions à la Loi électorale du Canada lors de la 39e élection générale à l'issue de laquelle il a défait le Parti libéral de Paul Martin, dans une grande mesure grâce au scandale des commandites qui a exposé la corruption libérale. Les accusations, qui portent sur des irrégularités dans le financement de la campagne des conservateurs durant cette élection, ont été portées par le bureau de Brian J. Saunder, directeur des poursuites pénales, un poste créé par les conservateurs avec leur Loi sur la responsabilité de 2006.

Durant la campagne électorale de 2006, les conservateurs ont exploité le scandale des commandites pour se faire passer pour les champions de la lutte à la corruption et ainsi avancer les politiques de « loi et ordre » qu'ils ont à leur programme. Interrogé sur le pourquoi d'un bureau des poursuites pénales, Stephen Harper avait répondu que cela permettrait d'éliminer tout soupçon d'ingérence politique dans le domaine juridique en ce qui concerne les infractions et les poursuites contre les élus. Il avait dit aux journalistes : « Il va y avoir un nouveau code sur la colline parlementaire. Outrepassez les règles, vous serez punis ; transgressez la loi, vous serez accusés ; abusez de la confiance du public, vous irez en prison. » Maintenant que les conservateurs sont eux-mêmes accusés d'infractions, après quatre années d'enquête, d'abord par le bureau du Commissaire aux élections fédérales (deux ans) puis par le Service des poursuites pénales (deux autres années), M. Harper a dit vendredi dernier qu'il s'agissait d'une simple affaire de « comptabilité ».

Cette réponse cadre parfaitement dans la campagne de dénigrement que mènent les conservateurs contre les organismes publics chargés d'arbitrer et d'administrer la loi fédérale, du Bureau du directeur général des élections au Service des poursuites pénales, en passant par le commissaire aux élections fédérales. Selon le premier ministre, ces instances qui enquêtent l'affaire depuis quatre ans seraient incapables de faire une distinction entre une erreur de comptabilité et une infraction pouvant entraîner des poursuites. En plus du mépris des institutions contenu dans cette insinuation, il faut savoir qu'il y a comptabilité et « comptabilité », comme à la Enron.

Loin d'avoir éliminé l'ingérence politique dans la poursuite pour infractions à la loi, les conservateurs sont passés maîtres dans l'orchestration de campagnes politiques pour brouiller les cartes quand les choses deviennent claires. Ils ont commencé par remettre en cause l'impartialité du directeur général des élections avec des insinuations concernant ses motifs. Ils ont laissé entendre par exemple qu'Élections Canada cherchait à dicter le contenu de leurs publicités électorales alors qu'en réalité le contenu des publicités en question n'a jamais été soulevé. Ils ont ensuite dit que les libéraux, le NPD et le Bloc transfèrent eux aussi des fonds à leurs candidats mais n'ont pourtant jamais fait l'objet d'une enquête. C'était une tentative évidente de brouiller les cartes puisque l'allégation d'Élections Canada était que le Parti conservateur avait non seulement transféré des fonds à des candidats, ce qui n'est pas illégal, mais qu'il l'avait fait pour contourner la limite sur les dépenses électorales, ce qui est illégal.

Mais tout cela n'est pas le fond de l'affaire. Quelle que soit la conclusion des poursuites contre le Parti conservateur, c'est tout le régime de financement électoral et surtout la prétention qu'il a été perfectionné pour assurer l'« égalité des chances » qui est encore exposé. Les limites sur les dépenses électorales ne s'appliquent que durant les périodes de campagne ; elles ne s'appliquent pas à la publicité hors campagne, comme celle que l'on voit en ce moment. Le plafond de 20 millions $ par parti et de 80 000 $ par candidat ne garantit pas l'égalité des chances, il ne fait que réglementer la concurrence entre les partis politiques des riches. Les partis à la Chambre des communes vivent de subventions renouvelables à même les fonds publics et sont devenus des appendices de l'État. Et surtout, toutes ces dépenses, aussi contrôlées soient-elles, n'ont rien à voir avec l'information de l'électorat. La prétention que le système est « libre et équitable » tient de moins en moins et le système s'enfonce dans une crise de crédibilité.

Si Élections Canada gagne la bataille devant les tribunaux, les élections ne seront pas plus justes et équitables qu'elles le sont présentement. La seule différence sera que les partis politiques des riches sauront maintenant comment faire pour utiliser au maximum, en toute légalité, les limites sur les des dépenses des partis et des candidats. La comptabilité à la Enron va devenir la norme. Si le Parti conservateur gagne, c'est Élections Canada en tant qu'institution de réglementation des élections qui sera affaiblie et son organe de surveillance des élections, le Commissaire aux élections fédérales, sera un autre appendice dysfonctionnel du système de démocratie représentative dominé par les partis et rongé par la crise.

(Traduction : LML)

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Le Directeur des poursuites publiques accuse les conservateurs d'infractions à la loi électorale

Pour la première fois depuis l'adoption, en 1974, du régime actuel sur les limites des dépenses électorales des partis politiques et des candidats, un parti politique – le Parti conservateur du Canada – est accusé d'avoir dépassé sa limite de dépenses et d'avoir soumis des rapports de dépenses faux ou trompeurs à Élections Canada. Quatre accusations ont été déposées. La première comparution est prévue pour le 18 mars devant la Cour provinciale de l'Ontario à Ottawa (voir les accusations ci- dessous). Les accusations peuvent entraîner une pénalité maximale de 2 000 $ et/ou une peine de prison pouvant aller jusqu'à un an pour les individus, et une amende maximale de 25 000 $ pour le parti.

Les violations alléguées concernent environ 1,3 millions $ dépensés en annonces à la radio et à la télévision par 67 candidats conservateurs pendant la 39e Élection générale du 23 janvier 2006. Les fonds pour payer les annonces ont été fournis par le Fonds conservateur Canada (l'agent principal du Parti conservateur). Cela s'est fait par un transfert d'argent du Fonds conservateur du Canada vers les comptes bancaires de 67 candidats conservateurs. Le Fonds conservateur a ensuite facturé chacun des 67 candidats pour leur contribution à une campagne médiatique régionale achetée par le bureau national et les candidats ont renvoyé l'argent qui leur avait été transféré au Fonds conservateur pour payer leur part.

Aucune de ces actions n'est une infraction de la Loi électorale du Canada. Les transferts entre le parti et les candidats sont autorisés. Un parti peut acheter des biens et facturer à des candidats leur part de ces biens. Le contenu des publicités n'est pas en cause non plus. Un candidat peut faire passer des annonces avec le contenu de son choix, pourvu que son agent officiel l'approuve et signe. L'objet des infractions alléguées est que le Parti conservateur du Canada a manigancé l'achat dans les médias et le transfert de fonds de façon à contourner la limite sur les dépenses du Parti en attribuant ses propres dépenses aux candidats.

Élections Canada a commencé à soupçonner quelque chose au sujet de l'achat dans les médias régionaux lors d'une vérification de routine des relevés d'un des candidats conservateurs à la fin de 2006. Les relevés de dix-sept candidats conservateurs avaient été vérifiés sans problème lorsqu'un vérificateur a appelé l'agent officiel d'un autre candidat conservateur pour poser des questions au sujet de l'achat dans les médias. L'agent officiel semblait savoir peu de choses sur les détails de cet achat et a supposé que parce que le parti national avait atteint sa limite de dépenses électorales, les candidats donnaient un coup de main en donnant une « contribution », une partie de la limite de dépenses électorales du candidat au parti national, ce qui était illégal.

Cette information a poussé Élections Canada à enquêter de plus près sur les dépenses et les rapports de toute l'affaire de l'achat dans les médias. Du 29 novembre 2006 au 12 janvier 2007, le Directeur général des élections à l'époque, Jean-Pierre Kingsley, a envoyé des lettres aux candidats conservateurs concernés, pour demander plus de documentation afin de vérifier les dépenses, et pour faire savoir aux candidats que le remboursement de leurs dépenses ne pourrait pas se faire sans que des documents satisfaisants ne soient fournis. Kingsley a démissionné le 28 décembre 2006, sa démission entrant en vigueur en avril 2007, et a été remplacé par Marc Mayrand, qui a poursuivi l'enquête sur les allégations d'actes illicites.

En 2006-2007, plusieurs échanges écrits et en personne ont eu lieu entre les représentants d'Élections Canada, les agents officiels des candidats et des représentants du Parti conservateur, au cours desquels on n'a pas fourni à Élections Canada de documents qui auraient dissipé la conviction que l'achat dans les médias régionaux était une manoeuvre pour contourner les limites de dépenses électorales du parti national.

Élections Canada a alors soumis l'affaire à William Corbett, le Commissaire aux élections, qui a lancé une enquête sur les infractions alléguées. Dans le cadre de l'enquête, des dossiers ont été obtenus de différents organismes des médias et agences de publicité impliqués dans l'achat dans les médias. Dans ces dossiers, on retrouvait un échange de courriels entre les employés d'une agence, où on pouvait lire : « Reçu un appel de Irving Gerstein. Deux questions : Ils dépensent peut-être jusqu'à leur limite légale sur cette campagne... Ils songent à "transférer" une partie du temps d'antenne aux circonscriptions. Il semble que la raison soit de profiter au maximum de la limite légalement permise pour les dépenses de publicités... Il manque plusieurs détails et je ne suis pas comment des publicités à la télévision nationale et régionale peuvent être considérées comme des dépenses de circonscription, à moins que toutes les circonscriptions d'une région unissent leurs ressources... » D'autre part, dans le cadre de l'enquête, les 15 et 16 avril 2008, l'adjoint de l'enquêteur en chef du Commissaire a obtenu et exécuté un mandat de perquisition dans les bureaux du Parti conservateur et du Fonds conservateur du Canada et saisi 22 boîtes de documents et plusieurs disques durs.

En cour fédérale

Entre-temps, deux agents officiels de candidats qui ont participé à l'achat de publicités dans les médias régionaux et dont le remboursement a été retenu ont porté l'affaire devant la Cour fédérale du Canada. Ils ont fait valoir que le directeur général des élections avait dépassé les limites de ses compétences et n'avait pas le droit de retenir un remboursement de dépenses électorales. La cour a rendu son jugement le 18 janvier 2010. Elle a jugé que, sur la base de la preuve disponible, il n'y avait pas lieu de conclure que les dépenses n'ont pas été encourues par les candidats. Elle a conclu que le Directeur général des élections n'avait pas le droit de retenir le remboursement des dépenses électorales et devait plutôt renvoyer l'affaire au Commissaire aux élections. Mais elle a aussi jugé que les reçus émis aux candidats par le Fonds conservateur du Canada étaient inexacts parce qu'ils n'attribuaient pas aux candidats la dépense pour la valeur commerciale de la publicité reçue (les sommes indiquées sur les reçus semblent plutôt liées à l'espace de limite de dépenses alloué à chaque candidat). Le juge a conclu qu'Élections Canada devait recalculer les dépenses rapportées de chacun des candidats en cause en tenant compte de la valeur commerciale réelle et émettre les chèques de remboursement.

Élections Canada a porté ce jugement en appel et demandé un sursis parce que l'ordre du juge avait des répercussions importantes. Élections Canada avait refait ses calculs et trouvé qu'environ 10 candidats conservateurs auraient dépassé la limite autorisée, dont quatre députés, dont trois ministres. Dans sa demande de sursis, Élections Canada écrit : « Ces 9 ou 10 candidats pourraient faire l'objet de poursuites et devoir subir des conséquences importantes s'ils sont trouvés coupables. Plus particulièrement, trois d'entre eux pourraient perdre leur poste de ministre. Outre la conviction, cette possibilité pourrait jeter le doute sur la légitimité de l'élection des quatre candidats qui sont présentement députés au parlement. » (Maxime Bernier – Beauce ; Lawrence Cannon – Pontiac ; Christian Paradis – Mégantic-L'Érable ; et Josée Verner – Louis-Saint-Laurent). Les conservateurs ont contesté uniquement la partie du jugement qui demande l'émission de nouveaux reçus à la valeur commerciale. La Cour d'appel fédéral a entendu la cause en novembre 2010 mais n'a pas encore rendu son jugement.

Fred DeLory, porte-parole du Parti conservateur, a dit qu'on aurait dû permettre à l'affaire au civil de suivre son cours avant de porter des accusations. « Nous sommes déçus qu'Élections Canada ait porté des accusations après avoir perdu sa cause à la Cour fédérale, sans attendre la décision sur l'interjection en appel », a-t-il dit. Il a qualifié les accusations de « mépris total de la décision et du processus d'appel ». Le premier ministre Stephen Harper a déclaré quant à lui : « Nous avons été devant les tribunaux à plusieurs reprises pour cette affaire. Jusqu'à présent les tribunaux ont jugé en notre faveur. Toutes ces personnes ont agi conformément aux règles en vigueur à l'époque. »

Mais la Cour fédérale n'a pas statué sur la légalité des dépenses, parce qu'une enquête du Commissaire aux élections est en cours. Le juge a dit : « Il y a une distinction fondamentale à faire entre la légalité et la légitimité. En ce qui concerne la légalité ou l'illégalité des gestes posés par le Parti conservateur ou le Fonds conservateur durant la période électorale de 2006, il y a une enquête du Commissaire qui se poursuit et il serait donc prématuré que la cour commente ou porte un jugement sur cette affaire.

« Quant à la légitimité de l'achat de publicité régionale, il y a matière à débat et c'est une affaire qu'il vaut mieux laisser au commentaire et au débat publics à l'extérieur des tribunaux. Le parlement a le pouvoir souverain et l'autorité législative de régir les transferts monétaires des partis enregistrés aux campagnes locales. Le parlement peut amender la loi pour corriger toute iniquité, qu'elle soit réelle ou perçue comme telle aux yeux du public. De plus, seul le Parti a l'autorité de conférer des pouvoirs d'enquête ou de supervision additionnels au DGE. »

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Les conservateurs refusent de rendre des comptes en vertu des lois électorales du Canada

Maintenant que le Parti conservateur a été accusé d'infractions à la Loi électorale du Canada lors de l'élection fédérale de 2006, le premier ministre Stephen Harper refuse d'admettre la gravité des accusations portées contre son parti et 67 candidats, dont le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon. Affirmant que les accusations sont sans fondement, Harper a déclaré : « Nous avons été à plusieurs reprises devant les tribunaux à ce sujet. Les tribunaux, à ce stade, ont tranché en notre faveur. Toutes ces personnes ont agi selon les règles qui étaient en place à l'époque. »

Cela ne peut qu'induire en erreur car, en fait, aucun tribunal n'a encore entendu les accusations contre les conservateurs. Ces accusations allèguent que le parti et certains de ses fonctionnaires ont délibérément violé les limites des dépenses électorales aux élections de 2006 et présenté à Élections Canada de fausses et/ou trompeuses déclarations de dépenses électorales. La première audience aura lieu le 18 mars à Ottawa.

C'est la démagogie de ceux qui n'ont aucun intérêt à faire connaître la vérité. Quand il dit « les tribunaux ... ont tranché en notre faveur », il devrait dire clairement qu'il parle d'un procès qui a été intenté en mai 2007 par les conservateurs devant la Cour fédérale du Canada contre le Directeur général des élections du Canada. Les conservateurs ont contesté l'autorité du Directeur général des élections du Canada (DGEC) de refuser d'autoriser le remboursement des dépenses électorales aux candidats dans une situation où le DGEC n'est pas convaincu que les dépenses ont été réellement engagées par les candidats. En particulier, les conservateurs veulent que la Cour fédérale ordonne au DGEC de rembourser des dépenses électorales qu'il a refusé de verser aux conservateurs.

Mais même les décisions de ce tribunal ne sont pas utiles à Harper puisqu'à peine quelques heures après s'être vanté qu’« à ce stade, les tribunaux ont tranché en notre faveur », la Cour fédérale d'appel a statué en faveur du DGEC. Aucune de ces décisions a une incidence sur la façon dont les tribunaux de l'Ontario se prononceront sur la violation alléguée de la Loi électorale du Canada par les conservateurs mais cela n'a pas empêché les conservateurs de tenter de tromper le public. Parlant comme un véritable exécutif d'Enron ou un Bernie Madoff ou Brian Mulroney après avoir été pris la main dans le sac, le porte-parole du Parti conservateur, Fred DeLorey, a réagi à la décision en disant que l'affaire ne concerne que de petits désaccords sur les méthodes comptables.

« Il s'agit d'un différend administratif avec Élections Canada qui a cours depuis cinq ans. Il s'agit de savoir si certaines dépenses doivent être considérées comme locales ou nationales », a-t-il dit. « Nous avons une divergence d'opinion à ce sujet et nous maintenons que nos gens ont agi selon la loi, tel qu'ils la comprenaient à ce moment-là », a-t-il dit. Une fois qu' « il est devenu évident qu'Élections Canada a modifié son interprétation de la loi, le Parti conservateur a ajusté ses pratiques pour la campagne électorale de 2008 », a-t-il ajouté.

La réponse des conservateurs aux accusations portées contre eux montre comment ils agissent de façon intéressée et comment ils se rabaissent sciemment à des pratiques de corruption pour s'accrocher au pouvoir. Leurs tentatives de minimiser l'importance des infractions à la loi électorale et le mépris des institutions responsables de sa mise en oeuvre montrent à quel point dépourvues de grands idéaux sont devenues les institutions dites démocratiques et comment est sans fondement la prétention que les élections sont la preuve de la supériorité de ces institutions car elles les doteraient de « légitimité ». Prétendre représenter « la loi et l'ordre » pour ensuite refuser de se soumettre aux lois qu'ils ont eux-mêmes adoptées et refuser de reconnaître l'autorité des arbitres que le système a lui-même mis en place pour tenir les fonctionnaires responsables est du hooliganisme pur et simple.

Les conservateurs ont annoncé qu'ils vont contester la décision de la Cour fédérale d'appel devant la Cour suprême du Canada. S'ils doivent gaspiller les fonds du trésor public nécessaires aux poursuites intentées contre eux, espérons du moins que c’est avec les fonds du Parti conservateur qu’ils s’acquitteront de leurs propres frais juridiques.

La plus récente décision de la Cour fédérale

Dans le premier jugement de la Cour fédérale, le 18 janvier 2010, le juge n'a pas été convaincu de la preuve présentée à propos des circonstances entourant la décision du DGEC, ni de son interprétation de la Loi électorale du Canada, que le Directeur général des élections a le pouvoir de retenir le remboursement. Il a jugé que le DGEC a commis une erreur. Le 28 février 2011, un tribunal de trois juges de la Cour fédérale d’appel a annulé la décision antérieure. Ils ont soulevé les questions suivantes :

« Question 1 : Le DGEC est-il habilité à vérifier les dépenses électorales des candidats ?

Question 2 : La documentation soumise au DGEC était-elle suffisante pour que celui-ci puisse raisonnablement refuser d'affirmer qu'il avait la conviction que les intimés avaient engagé une partie des frais relatifs aux APML déclarés comme dépenses électorales ? »

Leur jugement déclare :

« L'article 16 confie au DGEC l'exercice des pouvoirs et fonctions « nécessaires à l'application de la présente loi ». À notre avis, la surveillance de l'exactitude des demandes de remboursement des candidats à même les deniers publics et la vérification de l'observation du plafond des dépenses électorales prévu par la Loi sont des fonctions nécessaires à l'application de la Loi et relèvent donc des responsabilités du DGEC. À notre avis, l'examen du contexte législatif plus général indique que le sens du paragraphe 465(1) n'est pas celui que lui prêtent les intimés.

«Nous concluons que le législateur n'a pas voulu restreindre le rôle du DGEC à la fonction avant tout administrative consistant à s'assurer que les candidats ont produit les documents précisés dans la Loi et, après avoir acquis la conviction que tel est le cas, à remettre un certificat permettant au receveur général de rembourser les dépenses électorales déclarées. [...]

«Il serait surprenant que le législateur ait eu lintention d'obliger le DGEC à délivrer un certificat permettant à un candidat dobtenir un remboursement de dépenses électorales à même les deniers publics dans des cas où le DGEC n'est pas convaincu qu'une dépense réclamée est permise par la Loi. Limiter les fonctions du DGEC ainsi que les intimés invitent la Cour à le faire n'est pas compatible avec les pouvoirs et les responsabilités considérables du poste énoncés à l'article 16. »

De plus , les juges déclarent qu'accepter l'interprétation des Conservateurs sur l'autorité et les pouvoirs du DGEC « fragiliserait le respect des plafonds fixés par le législateur en ce qui a trait au montant d'argent que les candidats peuvent dépenser pour leur élection et se faire rembourser à même les deniers publics. De nombreux abus pourraient aussi survenir, et l'objectif de la Loi qui consiste à promouvoir une saine démocratie en garantissant des conditions égales pour tous en matière électorale pourrait être compromis. »

Sur la question du caractère raisonnable de la décision du DGEC, les juges de la Cour d'appel ont dû décider « si le DGEC a commis une erreur susceptible de contrôle lorsque, s'appuyant sur la preuve documentaire dont il disposait, il a refusé d'affirmer qu'il avait la conviction que les intimés avaient engagé les frais relatifs aux APML qu'ils avaient déclarés à titre de dépenses électorales. Il importe de souligner que c'est le DGE, et non la Cour, qui doit avoir cette conviction. »

Les juges ont examiné la partie de la preuve dont disposait le DGEC au moment où il avait refusé d'autoriser le remboursement des dépenses. Par contre, cette preuve est beaucoup moins étoffée que les éléments de preuve disponibles après deux ans d'enquête par le commissaire aux élections. Ils ont conclu que la preuve « démontre largement le caractère raisonnable du refus du DGEC d'affirmer qu'il avait la conviction que les frais relatifs aux APML avaient été engagés par les candidats en conformité avec la Loi. La question de savoir si la preuve aurait pu raisonnablement amener le DGEC à conclure que les frais avaient été dûment engagés par les candidats n'est pas pertinente dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire relative à l'exercice du pouvoir conféré au DGEC [« au DGEC » est souligné dans le texte] par le législateur. »

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À titre d'information

Appel d'Élections Canada de la décision clé de la Cour fédérale dans Campbell (Callaghan) et autres c. Canada (directeur général des élections)

Nous reproduisons un document d'Élections Canada sur la décision de la Cour fédérale concernant les irrégularités dans le financement électoral du Parti conservateur et sur les raisons de l'interjection en appel de cette décision.

* * *

Le 18 janvier 2010, la Cour fédérale du Canada a rendu sa décision clans Campbell (Callaghan) et autres c. Canada (directeur général des élections). Cette cause concerne des candidats ayant participé à un programme d'achats publicitaires régionaux lors de la 39` élection générale de 2006. La cour a infirmé la décision du directeur général des élections qui avait refusé d'émettre un certificat relatif au remboursement des dépenses réclamé par les deux requérants. Elle a déterminé que les dépenses avaient bel et bien été engagées par les requérants et a donc ordonné au directeur général des élections de délivrer un certificat permettant leur remboursement partiel, même si certaines dépenses n'avaient pas été déclarées conformément aux dispositions de la Loi électorale du Canada.

En raison de l'importance de maintenir des plafonds de dépenses distincts pour les partis politiques et les candidats, et afin d'assurer une saine gestion des fonds publics. le directeur général des élections, Marc Mayrand, a décidé d'interjeter appel. Parallèlement, le requérant Callaghan a déposé un appel incident pour contester la conclusion de la Cour fédérale quant à la nécessité de déclarer les dépenses électorales selon leur « valeur commerciale ».

Cadre législatif

L'intention du Parlement, telle qu'exprimée dans la Loi électorale du Canada, est de prévoir un ensemble complet de règles qui visent à assurer l'équité du système électoral en instaurant une égalité des chances pour les candidats aux élections. Un élément central de notre système est l'établissement de plafonds des dépenses électorales séparés et distincts pour les partis politiques et les candidats. Même si les entités politiques peuvent dépenser à leur gré en période non électorale, la Loi établit des règles claires pour les dépenses des partis et des candidats durant une élection. Ainsi, malgré les capacités divergentes des concurrents à accéder aux ressources pour augmenter leurs chances de réussite aux élections, le montant due chacun peut dépenser pour influencer le résultat du vote est strictement contrôlé afin d'équilibrer les forces en présence. Afin d'assurer un traitement similaire de biens et de services semblables par différentes campagnes, en respectant leurs propres plafonds de dépenses, la Loi électorale du Canada exige que toute dépense relative à un bien ou à un service soit déclarée selon sa « valeur commerciale », suivant le sens que la Loi donne à cette expression. Dans le cas d'un achat de groupe visant des campagnes multiples, la portion des dépenses à déclarer pour chacune ne peut être répartie arbitrairement entre les candidats participants, car cela compromettrait les plafonds de dépenses prescrits pour chacune des campagnes.

Bien que la Loi offre aux partis et aux candidats une certaine flexibilité en permettant le transfert de ressources, tant monétaires que non monétaires (par exemple, le parti peut fournir des fonds, des biens et des services aux candidats qu'il présente), elle ne permet pas le transfert de dépenses. De tels « transferts » rendraient inopérante la distinction entre les plafonds des dépenses des partis politiques et des candidats ; cela permettrait aux partis et aux candidats de bénéficier de dépenses qui excèdent leurs plafonds respectifs. Actuellement, la formule établie par la Loi prévoit un plafond de quelque 20 millions de dollars pour les partis nationaux qui présentent un candidat dans chaque circonscription. Le plafond des dépenses de chaque candidat est séparé, et la moyenne canadienne est d'environ 80 000 $.

Après une élection générale, tous les partis politiques et tous les candidats doivent soumettre un rapport faisant état des dépenses engagées selon la « valeur commerciale ». Par exemple, si un candidat a acheté des affiches à moitié prix, il devra déclarer 100 % de la valeur des affiches à titre de dépenses (mais seul le montant payé peut être remboursé).

La Loi prévoit le remboursement de 50 % des dépenses électorales d'un parti, et 60 % des dépenses électorales d'un candidat. En vertu de la Loi, le directeur général des élections fournit un certificat au receveur général du Canada autorisant le remboursement des dépenses électorales permises, mais seulement lorsqu'il est convaincu que le candidat a déclaré ses dépenses correctement. Entre autres, le directeur général des élections doit être convaincu que les dépenses ont été engagées par le candidat, et que les dépenses déclarées reflètent la « valeur commerciale ». Si le directeur général des élections estime que les pièces justificatives accompagnant le rapport sont insuffisantes, il peut exiger du candidat qu'il fournisse des renseignements supplémentaires.

Aperçu des faits

Lors de la 39e élection générale, 67 candidats du Parti conservateur du Canada ont participé à un programme d'achats publicitaires régionaux, organisé par le parti soi-disant pour permettre aux candidats de participer à l'achat de publicité nationale à la télévision et à la radio, pour diffusion dans leur région. Lors de l'examen des rapports des candidats du Parti conservateur, des doutes ont été soulevés quant à savoir si ces dépenses avaient bien été engagées par les candidats participants. Le directeur général des élections a demandé à un certain nombre de candidats de fournir des pièces justificatives supplémentaires à l'appui des dépenses déclarées.

Les pièces fournies n'ont pas permis de convaincre le directeur général des élections que ces dépenses avaient été engagées par les candidats ou déclarées selon la « valeur commerciale », puisque certains rapports faisaient état de dépenses de publicité semblables avec des montants variables. L'information disponible suggérait plutôt que les montants déclarés par les campagnes participantes avaient été établis afin de refléter la marge de manoeuvre des participants eu égard à leur plafond de dépenses. Le directeur général des élections a donc refusé de délivrer des certificats pour remboursement.

En 2007, les agents officiels de deux candidats participants ont déposé une demande de révision judiciaire afin de contester le refus du directeur général des élections de certifier les dépenses déclarées. La cause a été entendue en novembre 2009 et une décision a été rendue le 18 janvier 2010.

Décision de la Cour fédérale

La cour a conclu que les deux requérants avaient engagé les dépenses, et a ordonné au directeur général des élections de délivrer un certificat permettant leur remboursement partiel, même si certaines dépenses n'avaient pas été déclarées conformément aux dispositions de la Loi. De fait, quoique la Loi exige que les dépenses soient déclarées selon la « valeur commerciale » des biens ou des services utilisés par la campagne, la Cour fédérale a trouvé que la même dépense avait été déclarée à une valeur inférieure à sa valeur commerciale par certaines campagnes, et à une valeur supérieure par d'autres.

Dans sa décision, la cour a également adopté une interprétation de l'expression « dépenses électorales » qui permettrait aux candidats d'engager des dépenses servant directement à favoriser le parti politique ou l'élection des autres candidats du parti. Elle permettrait également au parti politique d'engager des dépenses afin de favoriser directement ses candidats.

Aperçu des enjeux

La décision soulève plusieurs enjeux importants concernant l'intention du Parlement telle qu'exprimée dans la Loi électorale du Canada et l'application future de la Loi. Ces enjeux concernent notamment la préservation des règles visant à établir un équilibre entre les forces qui s'affrontent et la gestion des fonds publics.

Équilibre des forces

À l'avenir, on permettrait aux entités politiques d'engager des dépenses au nom d'autres entités, ce qui estomperait l'existence de plafonds des dépenses distincts pour le parti et les candidats, et pour chacun des candidats. Par exemple, les candidats des circonscriptions où la concurrence est moins forte pourraient prêter leur marge de dépenses en absorbant les dépenses des candidats des circonscriptions où la concurrence est plus forte. Un autre exemple serait le transfert possible de dépenses liées à la tournée nationale d'un chef de parti aux campagnes locales des candidats, ce qui créerait une marge de dépense supplémentaire pour le parti politique.

Engager des dépenses au nom d'autres entités politiques non seulement minerait les règles visant un équilibre des forces, principe fondamental de la Loi, mais réduirait également la transparence. En effet, il deviendrait difficile pour les Canadiens, lors de leur examen des rapports des différentes entités politiques, de savoir quelles sommes ont été dépensées pour influencer le résultat électoral dans une circonscription et lesquelles ont été dépensées pour favoriser un parti national.

Gestion des fonds publics

La décision de la cour suggère que le directeur général des élections serait tenu d'accepter les dépenses telles que déclarées et de certifier leur remboursement en deniers publics, sous réserve de la possibilité de recouvrer le paiement à la suite d'une poursuite pénale. Les entités politiques recevraient ainsi des fonds publics d'une manière non conforme aux normes reconnues de responsabilisation en matière d'administration et de versement des fonds publics.

La décision permettrait également à un parti politique et à ses candidats d'organiser leurs transactions financières de façon à obtenir un remboursement en deniers publics supérieur à ce qu'avait prévu le Parlement. À titre d'exemple, un candidat qui, autrement, n'aurait pas droit à un remboursement, pourrait demander à un autre candidat admissible d'engager des dépenses en son nom, et augmenter ainsi le remboursement total, qui pourrait alors être versé au parti.

Déclaration selon la valeur commerciale

La Cour fédérale a validé la position du directeur général des élections, suivant laquelle que les dépenses électorales déclarées doivent correspondre à la « valeur commerciale » des biens ou des services utilisés et que, dans ce cas-ci, les campagnes qui ont fait usage des mêmes biens et services devraient déclarer des dépenses d'un montant égal. Le requérant Callaghan porte en appel cet élément de la décision.

Évolution du dossier

En raison des appels interjetés de part et d'autre et de l'importance des enjeux, Élections Canada a demandé la suspension de la décision jusqu'à ce que la Cour d'appel fédérale puisse trancher. La requête a été accordée le 19 mai 2010. La cause a été entendue à la Cour d'appel fédérale les 23 et 24 novembre 2010.

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Les accusations d'Élections Canada

Voici le texte des accusations que porte Élections Canada contre le Parti conservateur, le Fonds conservateur et leurs représentants.

* * *

1. Le Fonds conservateur du Canada
Douglas M. Finley
Irving Gerstein
Michael Donison et
Susan J. Kehoe :

Entre le 1er novembre 2005 et le 23 janvier 2006, dans la ville d'Ottawa. dans la province d'Ontario, et ailleurs au Canada, ont volontairement fait pour le compte du Parti conservateur du Canada des dépenses électorales relativement à la 39e élection générale fédérale dépassant le plafond de 18 278 278.64 S fixé pour le Parti conservateur du Canada, contrairement au paragraphe 423( 1 ) de la Loi électorale du Canada, commettant ainsi l'infraction punissable par voie de procédure sommaire prévue aux alinéas 497(3)g) et 500(5)a) de cette Loi.

2. Le Parti conservateur du Canada :

Entre le 1er novembre 2005 et le 23 janvier 2006, dans la ville d'Ottawa, dans la province d'Ontario, et ailleurs au Canada, étant un parti enregistré dont l'agent principal, le Fonds conservateur du Canada, a volontairement fait des dépenses électorales relativement à la 39e élection générale fédérale dépassant le plafond de 18 278 278,64 $ fixé pour le Parti conservateur du Canada, contrairement au paragraphe 423(1) et à l'alinéa 497(3)g) de la Loi électorale du Canada, a commis l'infraction punissable par voie de procédure sommaire prévue à l'article 507 de cette Loi.

3. Le Fonds conservateur du Canada et Irving Gerstein :

Entre le 23 janvier 2006 et le 18 décembre 2006, dans la ville d'Ottawa, dans la province d'Ontario, ont produit auprès du directeur général des élections un compte des dépenses électorales du Parti conservateur du Canada relativement à la 39e élection générale fédérale, alors qu'ils savaient ou auraient dû normalement savoir que celui-ci contenait une déclaration fausse ou trompeuse, soit une déclaration à l'effet que toutes les dépenses électorales relatives à la 39e élection générale fédérale y étaient dûment inscrites, contrairement à l'alinéa 431a) de la Loi électorale du Canada. commettant ainsi l'infraction punissable par voie de procédure sommaire prévue aux alinéas 497(3)m)(ii) et 500(5)a) de cette Loi.

4. Le Parti conservateur du Canada

Entré le 23 janvier 2006 et le 18 décembre 2006, dans la ville d'Ottawa, province de l'Ontario, étant un parti enregistré dont l'agent principal, le Fonds conservateur élu Canada, a produit auprès du directeur général des élections un compte de dépenses électorales relativement à la 39e élection générale fédérale alors que le Fonds conservateur du Canada savait ou aurait dû normalement savoir que ce compte contenait une déclaration fausse ou trompeuse, soit une déclaration à l'effet que toutes les dépenses électorales relatives à la 39e élection générale fédérale étaient dûment inscrites, contrairement aux alinéa 431a) et 497(3)m)(ii) de la Loi électorale du Canada, a commis l'infraction punissable par voie de procédure sommaire prévue à l'article 507 de cette Loi.

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