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Mois de l'histoire des Noirs
Le Martin Luther King qu'on ne voit pas à la
télé
- Norman Solomon et Jeff Cohen*,
Shunpiking Magazine,
Black History & African Heritage Supplement, février/mars
1999 -

15 avril 1967:
Martin Luther King à une manifestation contre la guerre au
Vietnam à New York. À gauche: le docteur Benjamin Spock.
À droite: monseigneur Charles Rice. |
C'est devenu un rituel télévisuel :
À chaque année vers la mi-janvier, aux alentours de
l'anniversaire de naissance de Martin Luther King, nous avons droit
à des reportages superficiels au sujet du « leader
des droits civiques assassiné ».
La chose remarquable à propos de ce retour annuel
sur la vie de King est que plusieurs années (ses
dernières années) échappent complètement
à l'examen, comme si elles avaient été perdues
dans un trou de mémoire.
Ce sont toujours les mêmes images : King
combattant pour la déségrégation à
Birmingham (1963) ; récitant son discours sur le rêve
de l'harmonie raciale au rassemblement de Washington (1963) ;
marchant pour le droit de vote à Selma, en Alabama (1965) ;
et finalement, abattu sur le balcon d'un motel à Memphis
(1968).
Le spectateur avisé notera que la chronologie
saute de 1965 à 1968. Et pourtant King n'a pas pris
d'années sabbatiques vers la fin de ses jours. Non, il n'a
cessé de prononcer des discours et d'organiser avec autant de
ferveur qu'avant.
La presque totalité de ces discours ont
été filmés ou enregistrés. Mais on ne les
voit pas à la télévision aujourd'hui.
Pourquoi ?
C'est parce que les médias nationaux aux
États-Unis n'ont jamais accepté ce pour quoi a combattu
Martin Luther King Jr durant les dernières années de sa
vie.
Au début des années 1960, lorsque King
consacrait surtout son énergie à combattre la
discrimination raciale légalisée dans le Sud, la plupart
des grands médias américains étaient ses
alliés. La télévision et la presse nationales
montraient les images choquantes de policiers utilisant des chiens, le
fouet et les bâtons de décharge électrique contre
les
noirs du Sud qui réclamaient le droit de vote et le droit de
manger à un comptoir public.
Mais après l'adoption des lois sur les droits
civiques en 1964 et 1965, King se mit à remettre en question les
priorités fondamentales de la nation. Il soutenait que les lois
sur les droits civiques ne valaient rien sans « les droits
humains », qui comprenaient les droits économiques.
Pour les gens qui sont trop pauvres pour manger dans
un restaurant ou pour s'acheter une maison convenable, disait-il, les
lois contre la discrimination ne sont d'aucun recours.
Observant qu'une majorité d'Américains
vivant en-dessous du seuil de pauvreté étaient blancs, il
en vint à formuler une perspective de classe. Il
dénonça les écarts énormes entre riches et
pauvres et préconisa « des changements radicaux dans
la structure de notre société » en faveur
d'une redistribution de la richesse et du
pouvoir.
« La véritable compassion,
déclara-t-il, est davantage que jeter une pièce de
monnaie à un mendiant ; elle vient à voir que
l'édifice qui produit des mendiants a besoin de
restructuration. »
En 1967 King était devenu l'adversaire le plus en
vue de la guerre du Vietnam et un farouche opposant à la
politique étrangère des États-Unis, qu'il
qualifiait de militariste. Dans son discours
« Au-delà du Vietnam », prononcé
à l'église Riverside de New-York le 4 avril 1967,
exactement un an avant d'être assassiné, King qualifia
les États-Unis de « plus grand pourvoyeur de violence
dans le monde aujourd'hui ».
Du Vietnam à l'Amérique latine en passant
par l'Afrique du Sud, disait King, les États-Unis étaient
« du mauvais côté d'une révolution
mondiale ». Il remit en question « notre alliance
avec l'aristocratie foncière de l'Amérique
latine » et demanda pourquoi les États-Unis
supprimaient les révolutions « des sans-
chemise et des pieds-nus » du Tiers Monde au lieu de les
soutenir.
En politique étrangère, King offrit
également une critique économique,
dénonçant « les capitalistes de l'Occident qui
investissent d'énormes quantités d'argent en Asie, en
Afrique et en Amérique du sud seulement pour en tirer le profit
et sans égard pour le mieux-être social de ces
pays ».
Vous n'avez pas entendu le discours
« Au-delà du Vietnam » dans les
rétrospectives télévisées, mais les
médias nationaux, eux, l'ont entendu fort et clair en 1967, et
ils l'ont rabroué fort et clair. La revue Time le
qualifia de « calomnie démagogique ressemblant
à un script de Radio Hanoï ». Le Washington
Post l'accueillit avec condescendance,
écrivant que « King a diminué son
utilité pour sa cause, son pays et son peuple ».
Durant les derniers mois de sa vie, King organisa le
projet le plus militant qu'il n'eût entrepris jusqu'alors :
la Campagne des pauvres. Il parcourut le pays pour réunir
« une armée multiraciale de pauvres » qui
se rendrait à Washington, prendrait part à la
désobéissance civile non violente devant le Capitole,
s'il le fallait,
jusqu'à ce que le Congrès adopte une charte des droits
des pauvres. Le Reader's Digest cria à
l'« insurrection ».
La charte des droits économiques de King
prévoyait d'immenses programmes d'emplois du gouvernement pour
rebâtir les villes de l'Amérique. Il voyait un besoin
criant de défier le Congrès qui avait
démontré « son hostilité envers les
pauvres » en votant « des fonds militaires avec
empressement et générosité » mais
« des fonds pour les pauvres avec avarice ».
Comme cela nous semble familier aujourd'hui, plus de
trente ans après que les efforts de mobilisation de King pour le
compte des pauvres furent brutalement interrompus par la balle de
l'assassin.
En ce début de l'année 1999, dans une
nation pourvue de richesses immenses, la Maison Blanche et le
Congrès continuent d'accepter la perpétuation de la
pauvreté. De même font la plupart des médias.
Peut-être ne faut-il pas se surprendre qu'ils fassent si peu de
cas des dernières années de la vie de Martin Luther King.
* Jeff Cohen et Norman Solomon sont des
chroniqueurs affiliés et auteurs de Aventures in
Medialand : Behind the News, Beyond the Pundits (Common
Courage Press). Norman Solomon est également co-auteur de Target
Iraq : What the News Media Didn't Tell You et auteur de The
Habits of
Highly-Deceptive Media.

Le deuxième martyre de Martin
- Mumia Abu-Jamal, 7 janvier 2007 -
Bientôt, tous les postes et réseaux de
télévision, et bon nombre des stations de radio de la
nation, vont diffuser des images (ou des enregistrements) de Martin
Luther King Jr, son élégant visage noir dans une mer de
visages noirs, prises durant son moment de triomphe : le discours
« J'ai fait un rêve » à Washington.
Ils seront heureux de vous présenter cette
version « inoffensive » du révérend
Martin Luther King Jr, parlant de rêves avec tant de noblesse et
d'éloquence.
Peu d'entre eux oseront diffuser ses propos
prononcés à l'église Riverside de New-York, ceux
d'un Martin plus vieux et assagi qui parle non pas de rêves mais
de réalités, de l'injustice sociale, surtout de
l'injustice économique, de militarisme américain
effréné et, oui, du cauchemar du racisme blanc.
Un de ceux qui l'accompagnaient, qui allait lui aussi
devenir un pasteur et docteur, fut Vincent Harding, un homme qui aimait
Martin et qui le connaissait comme un frère plutôt qu'une
icône.
Le révérend docteur Harding, imminent
théologien et historien, voulait que tous connaissent le Martin
qu'il avait connu. Alors il écrit un livre : Martin
Luther King : The Inconvenient Hero. Il nous y apprend que
King est « tombé dans l'enfer de la
trahison » quand il s'est attaqué à la guerre
du
Vietnam :
« ...On reprocha amèrement à
King de s'être attaqué à la question de la guerre.
Certains dirent qu'il détournait ainsi l'attention du
problème des droits des noirs. D'autres craignaient la furie de
Lyndon Johnson [président] qui ne tolérait aucune
opposition (certainement pas d'un noir !) à ses politiques
destructrices.
« Des membres du conseil d'administration de
la Southern Christian Leadership Conference, à laquelle King
appartenait, s'opposèrent à ce qu'il joue un rôle
dans le mouvement contre la guerre, en partie parce qu'ils avaient vu
comment les alliés libéraux blancs du mouvement avaient
retiré leur soutien financier à la jeunesse
radicalisée
du SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee), qui avait
osé se porter solidaire des adversaires vietnamiens de
l'intervention américaine. [...]
« Face à tout cela, et en partie
à cause de tout cela, King persista et le discours de Riverside,
prononcé un an jour pour jour avant son assassinat, fut le fruit
le plus remarquable de son engagement. Les voix de la critique
s'élevèrent immédiatement. Elles provenaient de
plusieurs directions... y compris d'aussi fervents défenseurs de
la
cause noire que Jackie Robinson, Roy Wilkins, Whitney Young et Carl
Rowan. »[1]
Le révérend docteur Harding raconte
également avec quelle brutalité le Washington Post,
qui se prétendait « libéral »,
attaqua le révérend docteur King pour avoir osé
s'opposer à la guerre. L'éditorial du quotidien qualifia
ses propos d'« allégations et conclusions
dommageables qu'il n'a pas et ne pouvait pas
appuyer sur des faits ». Selon la rédaction du Post,
« beaucoup d'entre ceux qui l'ont écouté avec
respect ne lui accorderont plus jamais la même confiance. Il a
diminué son utilité à sa cause, à son pays
et à son peuple. »[2]
C'est tout à l'honneur de King, explique le
révérend Harding, de n'avoir pas succombé à
ces critiques, car il savait qu'elles étaient du
côté de la guerre et de la mort.
Le révérend Harding écrit que King
se radicalisa et trouva la force d'élever la voix contre
l'injustice. Riverside fut un point tournant :
« (Qui pouvait savoir que ce soir-là,
du 4 avril, il lui restait un an à vivre jour pour jour, que la
balle était si proche ?) Car King voyait le contexte plus
général. Il avait déjà
déclaré à plusieurs occasions que 'mon pays bien
aimé' était 'menacé par une guerre qui cherche
à faire reculer l'histoire et à perpétuer le
colonialisme blanc'.
À l'origine de cette régression, dit-il, se trouvait le
refus de l'Amérique de reconnaître que 'les maux du
capitalisme sont tout aussi vrais que les maux du militarisme et du
racisme'. »[3]
Ce n'est pas le Martin Luther King que nous voyons dans
les annonces publicitaires, ni celui que nous voyons dans la
publicité entourant l'anniversaire de sa naissance et de sa mort.
Ce Martin Luther King là, ennemi de la guerre,
militant pour la justice économique, défenseur des
pauvres, compagnon de souffrance des bombardés et
opprimés du Vietnam, socialiste en herbe (au du moins
anti-capitaliste), était devenu, pour citer le
révérend Harding, « le héros qui
dérange ».
Rappelons-nous de qui il était vraiment.
Ce Martin Luther King a pratiquement disparu de notre
culture et histoire populaires médiatisées et blanchies.
Si ce n'était de gens comme Vincent Harding, il
le serait disparu.
Notes
1. Harding, Vincent. Martin Luther King :
The Inconvenient Hero (Maryknoll, N.Y. : Orbis, 1996 (8th
printing), pp. 70-71.
2. Ibid., p. 71.
3. Ibid., p. 101.

Au-delà du Vietnam: Le moment de rompre de
silence
- Martin Luther King Jr, 4 avril 1967
(Extraits)-
Extraits du discours prononcé devant une
assemblée à l'église Riverside de New-York.
* * *
Monsieur le président, mesdames et messieurs,
Inutile de vous dire combien je suis heureux
d'être ici ce soir et combien je suis heureux de vous voir
exprimer votre attachement aux sujets que nous allons aborder en venant
en si grand nombre. Je désire également vous dire que
c'est pour un moi un très grand honneur que de partager la
tribune avec le docteur Bennett, le docteur Commager,
le rabbin Heschel et certains des leaders et personnalités
distingués de notre pays. Et bien entendu il fait toujours bon
de revenir à l'église Riverside. Au cours des huit
dernières années, j'ai eu le privilège de
prêcher ici presque chaque année en cette période
et c'est toujours pour moi une expérience riche et enrichissante
que de venir dans cette
grande église et de parler du haut de cette chaire.

Martin Luther King prononçant son
discours contre la guerre du Vietnam à l'église Riverside
de New-York, le 4 avril 1967.
|
Je suis venu dans ce magnifique temple ce soir parce que
ma conscience ne me laisse pas d'autre choix. Je me joins à vous
dans cette assemblée parce que je suis profondément en
accord avec les objectifs et le travail de l'organisation qui nous a
rassemblés : le Clergy and Laymen Concerned About Vietnam.
Les récentes déclarations de
votre comité exécutif sont l'expression de mes propres
sentiments et c'est en parfait accord que je lis sa phrase
d'ouverture : « Vient un temps où le silence est
trahison. » Et ce temps est venu pour nous en ce qui
concerne le Vietnam.
La vérité de ces paroles ne fait aucun
doute mais la mission à laquelle elles nous convient est des
plus difficiles. Même lorsqu'ils sont poussés par les
exigences de la vérité intérieure, les hommes
n'assument pas facilement la tâche de s'opposer aux politiques de
leur gouvernement, surtout en temps de guerre. Ni est-ce sans grande
difficulté que
l'esprit humain va à contre-courant de l'apathie de la
pensée conformiste dans son âme et dans le monde qui
l'entoure. Qui plus est, quand les enjeux semblent complexes comme
c'est souvent le cas dans cet horrible conflit, nous risquons toujours
d'être paralysés par l'incertitude ; mais nous devons
poursuivre.
Et certains d'entre nous qui avons déjà
commencé à rompre le silence de la nuit réalisons
que notre métier est une vocation de l'agonie, mais nous devons
parler. Nous devons parler avec toute l'humilité de notre vision
limitée, mais nous devons parler. Et nous devons
également nous réjouir car c'est sans doute la
première fois dans l'histoire
de notre nation qu'un nombre important de chefs religieux choisissent
d'aller au-delà de la prophétie du patriotisme trop
persuasif pour marcher sur la grande voie d'une ferme dissidence
basée sur les ordres de la conscience et la lecture de
l'histoire. Peut-être est-ce un nouvel esprit qui grandit en
nous. Si c'est le cas, retraçons ses mouvements et
prions pour que notre être intérieur soit sensible
à ses conseils, car nous avons grand besoin d'une voie nouvelle
pour traverser la noirceur qui nous assaille.
Depuis deux ans, depuis que j'ai entrepris de rompre
avec la trahison de mon propre silence et de dire ce qui brûle en
moi, et que j'appelle à une rupture radicale avec la destruction
du Vietnam, beaucoup de gens s'interrogent sur la sagesse de mon
engagement. C'est souvent ces questions qui sont au coeur des
inquiétudes dont ils me font
part : « Pourquoi parlez-vous de la guerre, docteur
King ? » « Pourquoi joignez-vous votre voix
à celles de la dissidence ? » « La
paix et les droits civiques ne vont pas ensemble »,
disent-ils. « Ne faites-vous pas du tort à la cause
de votre peuple ? » Et quand je les
entends, bien que je comprenne la source de leurs inquiétudes,
je n'en demeure pas moins très peiné, car ces questions
signifient que ceux qui les posent ne m'ont pas vraiment connu, n'ont
pas vraiment compris mon engagement et ma vocation. Leurs questions
laissent entendre qu'ils ne connaissent pas le monde dans lequel ils
vivent.
À la lumière d'une si tragique
incompréhension, je crois qu'il est important d'essayer
d'énoncer clairement, et j'espère de façon
concise, pourquoi je crois que la voie qui a son origine à
l'église baptiste de Dexter Avenue, l'église de
Montgomery, Alabama, où j'ai commencé mon pastorat, me
mène à ce sanctuaire ce soir.
Je viens sur cette estrade pour faire un plaidoyer
passionné pour mon pays bien aimé. Ce discours ne
s'adresse pas à Hanoï ou au Front de libération
nationale, pas plus qu'à la Chine ou à la Russie. Il
n'est pas non plus destiné à sous-estimer
l'ambiguïté de la situation dans son ensemble et le besoin
d'une solution globale pour la tragédie du
Vietnam. Ce n'est pas non plus une tentative pour faire passer le Nord
Vietnam ou le Front de libération nationale pour des parangons
de vertu, pas plus que pour sous-estimer le rôle qu'ils peuvent
jouer dans la résolution positive du conflit. Même s'ils
peuvent tous les deux avoir des raisons justifiables de douter de la
bonne foi des États-Unis, la
vie et l'histoire offrent des témoignages éloquents au
fait que les conflits ne sont jamais résolus sans un
échange de confiance entre les deux parties.
Ce soir, cependant, je ne souhaite pas parler avec
Hanoï et le FLN mais plutôt avec mes compatriotes
américains.
Puisque je suis prêcheur de métier, je
suppose que vous ne serez pas surpris que j'ai sept grandes raisons
pour placer le Vietnam dans le champ de ma vision morale. Il y a pour
commencer un rapport évident et très facile à
établir entre la guerre au Vietnam et la lutte que moi, et
d'autres, menons en Amérique. Il y a quelques années de
cela, il
y eut un moment de clarté dans cette lutte. Il a semblé
qu'il y avait une promesse réelle d'espoir pour les pauvres,
blancs et noirs réunis, à travers le Poverty Program.
Puis survint l'escalade au Vietnam, et j'ai vu ce programme
brisé et éviscéré comme s'il était
devenu le jouet politique inutile d'une société rendue
folle par la guerre, et j'ai su que
l'Amérique n'investirait jamais les fonds et l'énergie
nécessaires pour la réhabilitation des pauvres aussi
longtemps que le Vietnam continuerait à drainer les hommes, les
talents et l'argent comme un aspirateur démoniaque et
destructeur. J'étais alors de plus en plus obligé de voir
la guerre comme un ennemi des pauvres et de l'attaquer en tant que
tel.
Peut-être que la prise de conscience la plus
tragique de la réalité survint lorsqu'il devint clair
pour moi que la guerre ne se contentait pas de dévaster les
espoirs des pauvres dans le pays. Elle envoyait aussi leurs fils, leurs
frères et leurs maris combattre et mourir dans des proportions
extraordinairement élevées par rapport au reste de la
population. Nous prenions de jeunes noirs, estropiés par notre
société, et nous les envoyions à 10 000
kilomètres de là pour garantir des libertés en
Asie du Sud Est dont ils ne bénéficient pas
eux-mêmes dans le sud-ouest de la Géorgie ou dans Harlem
Est. Nous avons été placés de manière
répétée devant l'ironie cruelle de regarder sur
nos écrans
des jeunes garçons noirs et blancs tuer et mourir ensemble pour
un pays où il ne leur était pas permis de s'asseoir
côte à côte dans les mêmes écoles. Nous
les avons vus, dans une même solidarité brutale, mettre le
feu aux huttes d'un pauvre village, mais nous réalisons qu'ils
ne vivraient jamais dans le même block à Détroit.
Je ne pouvais pas
rester silencieux devant une si cruelle manipulation des pauvres.
Ma troisième raison provient de mon
expérience dans les ghettos du Nord durant ces trois
dernières années et notamment, ces trois derniers
étés. En marchant parmi les jeunes gens en colère,
rejetés et désespérés, je leur ait dit que
les cocktails Molotov et les fusils ne résoudraient pas leurs
problèmes. J'ai essayé de leur offrir ma plus profonde
compassion tout en conservant ma conviction que le changement social le
plus significatif vient à travers l'action non violente. Mais,
demandaient-ils, et le Vietnam ? Ils demandaient si notre pays
n'utilisaient pas lui-même une dose massive de violence pour
résoudre ses problèmes, pour apporter les changements
qu'il souhaitait. Leurs
questions ont fait mouche, et j'ai su que je ne pourrai jamais plus
élever ma voix contre la violence des opprimés dans les
ghettos sans avoir auparavant parlé haut et clair au plus grand
pourvoyeur de violence du monde aujourd'hui - mon propre gouvernement.
Pour l'amour de ces garçons, pour l'amour de ce gouvernement,
pour l'amour des
centaines de milliers de personnes qui tremblent sous la violence, je
ne saurais garder le silence.
Pour ceux qui me posent la question :
« N'êtes-vous pas un dirigeant du mouvement pour les
droits civiques ? » et, par là même,
pensent m'exclure du mouvement pour la paix, j'ai la réponse
suivante : En 1957, lorsqu'un groupe d'entre nous créa la
Southern Christian Leadership Conference, nous choisîmes
comme devise « Pour le salut de l'âme de
l'Amérique ». Nous étions convaincus que nous
ne pouvions pas limiter notre vision à certains droits des
noirs, mais que nous devions au contraire affirmer notre conviction que
l'Amérique ne serait jamais libre ou sauvée tant que les
descendants de ses esclaves ne seront pas libérés des
chaînes qu'ils portent encore. [...]
Maintenant, il doit être absolument clair que
quiconque se préoccupant de l'intégrité et de la
vie de l'Amérique aujourd'hui ne peut ignorer la présente
guerre. Si l'âme de l'Amérique était
empoisonnée, l'autopsie, en partie, révélerait le
mot « Vietnam ». L'âme de l'Amérique
ne sera pas sauvée aussi longtemps que le pays détruira
les espoirs des hommes à travers le monde.
[...]
Que pensent les paysans vietnamiens lorsque nous nous
allions avec les propriétaires terriens et que nous refusons de
traduire par en actes nos nombreux discours concernant une
réforme agraire ? Que pensent-ils alors que nous essayons
nos dernières armes sur eux, tout comme les Allemands ont
essayé leurs nouveaux médicaments et
tortures dans les camps de concentration en Europe ? Où
sont les racines du Vietnam indépendant que nous
prétendons construire ?
[...]
Maintenant, je voudrais qu'il soit clair que, tout en
essayant d'être le porte-parole des sans-voix du Vietnam et en
essayant de comprendre les arguments de ceux que nous appelons
l'ennemi, je suis tout aussi préoccupé par nos propres
troupes qui se trouvent là-bas. Parce qu'il m'apparaît que
ce à quoi nous les soumettons au Vietnam dépasse
le simple processus de brutalité inhérent à toute
guerre où se font face deux armées qui cherchent à
se détruire. Nous ajoutons le cynisme au processus de mort, car
nos soldats doivent se rendent compte assez rapidement que nous ne
combattons en réalité pour aucune de ces choses pour
lesquelles nous prétendons combattre. Ils doivent très
vite se
rendre compte que leur gouvernement les a envoyés dans un
conflit entre Vietnamiens, et les plus perspicaces comprennent
certainement que nous sommes du côté des plus puissants
tout en créant un enfer pour les pauvres.
[...]
Je voudrais suggérer cinq points concrets que
notre gouvernement devrait immédiatement appliquer pour
commencer le long et difficile processus qui nous sortira de ce
cauchemar :
1. La fin des bombardements au Sud et au Nord Vietnam.
2. La déclaration unilatérale d'un
cessez-le-feu dans l'espoir qu'une telle initiative crée une
volonté de négociations.
3. Des mesures immédiates pour prévenir
l'ouverture d'autres champs de bataille en Asie du Sud-Est, en freinant
notre déploiement en Thaïlande et notre ingérence au
Laos.
4. Accepter de manière réaliste le fait
que le Front de libération nationale bénéficie
d'un soutien substantiel au Sud Vietnam et doit, par conséquent,
jouer un rôle significatif dans des négociations
sérieuses et dans tout gouvernement futur au Vietnam.
5. Fixer la date d'un retrait de toutes les forces
étrangères du Vietnam selon les Accords de Genève
de 1954
Notre engagement pourrait bien s'exprimer par une offre
d'asile à tout Vietnamien qui craint pour sa vie sous un nouveau
régime qui comprendrait le Front de libération nationale.
Puis nous devons verser ce que nous pouvons à titre de
réparations de guerre pour les dommages que nous avons
causés. Nous devons offrir l'aide médicale dont il y
a un urgent besoin, l'offrir ici-même s'il le faut. En même
temps, nous-mêmes, dans les églises et les synagogues,
devons continuer notre tâche, tout en pressant notre gouvernement
de se désengager d'un conflit déshonorant. Nous devons
nous préparer à traduire nos paroles par des actions, en
cherchant tous les moyens originaux de protestation
possibles.
En conseillant les jeunes hommes en ce qui concerne le
service militaire, nous devons clarifier le rôle de notre pays au
Vietnam et leur présenter l'alternative de l'objection de
conscience. Je suis heureux de dire que c'est maintenant la voie
choisie par plus de 70 étudiants de mon Alma Mater, le Morehouse
College, et je la recommande à tout
ceux qui pensent que la cause américaine défendue au
Vietnam est déshonorante et injuste. De plus, j'encourage tous
les pasteurs en âge du service militaire à renoncer
à l'exemption que leur offre leur ministère pour demander
un statut d'objecteurs de conscience. Chaque homme, aux convictions
humanistes, doit décider de la façon de protester qui
lui convient le mieux, mais nous devons tous protester.
Maintenant, il est très tentant de nous
arrêter là et de nous déployer dans ce qui, dans
certains milieux, est devenu une croisade populaire contre la guerre du
Vietnam. Je dis que nous devons nous engager dans cette lutte, mais je
voudrais poursuivre et aborder un sujet encore plus troublant.
La guerre du Vietnam n'est que le symptôme d'une
malaise encore plus profond de l'esprit américain et si nous
choisissons de fermer l'oeil sur cette réalité qui nous
éveille, nous allons nous retrouver à organiser des
comités de « gens de religion et de laïque
préoccupés » pendant toute une
génération. Ils seront préoccupés à
propos du Guatemala et du Pérou. Ils seront
préoccupés par la Thaïlande et le Cambodge. Ils
seront préoccupés par le Mozambique et l'Afrique du Sud.
Nous allons marcher pour ces pays et une dizaine d'autres et nous
allons assister à des manifestations et rassemblements sans fin,
à moins d'un changement significatif et en profondeur dans la
vie
et la politique américaines.
Ces pensées nous mènent donc
au-delà du Vietnam, mais pas au-delà de notre vocation en
tant que fils de Dieu.
En 1957, un dignitaire américain bien
sensé stationné outre mer disait qu'il lui semblait que
notre pays était du mauvais côté d'une
révolution mondiale. Au cours des dix dernières
années, il s'est établi une logique de suppression qui
sert maintenant à justifier la présence de conseillers
militaires américains au Venezuela. Ce besoin de maintenir
la stabilité sociale pour nos investissements est le motif
d'interventions contre-révolutionnaires des forces
américaines au Guatemala. C'est lui qui explique pourquoi des
hélicoptères américains sont utilisés
contre la guérilla au Cambodge et pourquoi le napalm
américain et les forces des Bérets verts ont
été impliqués dans des actions contre les
rebelles au Pérou.
C'est en pensant à ce type d'actions que les
paroles de John F. Kennedy reviennent nous hanter. Il y a cinq ans il
disait : « Ceux qui rendent la révolution
pacifique impossible rendront la révolution violente
inévitable. » De plus en plus, par choix ou par
accident, c'est le rôle qu'assume notre pays, le rôle de
ceux qui rendent
la révolution pacifique impossible en refusant de renoncer aux
privilèges et aux plaisirs qui viennent de la réalisation
de profits immenses par l'investissement à l'étranger. Je
suis convaincu que si nous voulons nous placer du bon côté
de la révolution mondiale, nous devons en tant que nation
effectuer un changement radical de nos valeurs. Nous
devons vite commencer à passer d'une société
orientée sur la chose à une société
orientée sur la personne. Lorsque les machines et les
ordinateurs, le profit et les droits de propriété, sont
considérés comme étant plus importants que les
personnes, les triplets géants que sont le racisme, le
matérialisme extrême et le militarisme sont impossibles
à
vaincre.
Une véritable révolution des valeurs nous
amènera vite à remettre en question la justesse et la
justice de bon nombre de nos politiques passées et
présentes. D'une part, nous sommes appelés à jouer
le bon Samaritain sur le bord de la route, mais ce ne serait que l'acte
d'ouverture. Tôt ou tard nous devrons réaliser que c'est
la route de Jéricho
qui doit être changée pour que les hommes et les femmes ne
soient plus constamment battus et dépouillés de leurs
biens en marchant sur le grand chemin de la vie. La véritable
compassion, c'est plus que jeter une pièce de monnaie à
un mendiant. La véritable compassion en vient à voir que
l'édifice qui produit des mendiants a besoin d'être
restructuré.
Une véritable révolution des valeurs
ressentira bientôt le malaise devant le contraste frappant entre
la pauvreté et la richesse. Indignée, elle regardera de
l'autre côté de l'océan et verra les capitalistes
de l'Occident qui investissent d'énormes quantités
d'argent en Asie, en Afrique et en Amérique du sud seulement
pour en tirer le profit et sans
égard pour le mieux-être social de ces pays, et elle
dira : Ce n'est pas juste. Elle regardera notre alliance avec
l'aristocratie foncière en Amérique du Sud et dira :
Ce n'est pas juste. L'arrogance de l'Occident qui se croit permis de
faire la leçon à tout le monde n'est pas juste.
Une véritable révolution des valeurs
jettera un regard sur l'ordre mondial et dira : Cette façon
de régler les différents n'est pas juste. Cette guerre
qui brûle des êtres humains au napalm, qui remplit nos
maisons d'orphelins et de veuves, qui injecte le poison de la haine
dans les veine de personnes normalement humaines, qui ramène des
hommes des champs de bataille sanglants physiquement handicapés
et psychologiquement troublés, ne peut être
réconciliée avec la sagesse, la justice et l'amour. Une
nation qui continue année après année à
dépenser plus d'argent pour la défense militaire que pour
les programmes de mieux-être social marche vers la mort
spirituelle.
L'Amérique, le pays le plus riche et le plus
puissant au monde, pourrait très bien montrer la voie dans cette
révolution des valeurs. Ce n'est qu'un tragique voeu de mort qui
nous empêche de réordonner nos priorités pour que
la recherche de la paix ait préséance sur la poursuite de
la guerre. Il n'y a rien qui nous empêche de façonner de
nos
mains blessées un statu quo récalcitrant en un nouvelle
fraternité.
C'est la triste réalité qu'à cause
du confort, de la complaisance, d'un peur morbide du communisme, et de
notre tendance à nous ajuster à l'injustice, les nations
occidentales qui ont tant provoqué l'esprit
révolutionnaire du monde moderne sont maintenant devenus d'archi
antirévolutionnaires. Cela en a amené beaucoup à
croire que seul le
marxisme possède un esprit révolutionnaire. Le communisme
serait donc un réquisitoire contre notre échec à
rendre la démocratie réelle et à poursuivre les
révolutions que nous avons commencées. Notre seul espoir
aujourd'hui est notre habilité à reconquérir
l'esprit révolutionnaire et à déclarer dans un
monde parfois hostile notre hostilité éternelle
à la pauvreté, au racisme et au militarisme. Forts de ce
profond engagement, nous oserons contester le statu quo et les moeurs
injustes. [...]

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Marxiste-Léniniste
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